Plusieurs lecteurs de ma chronique Improbablologie, ayant du mal à supporter l'arrêt estival du supplément "Science & Médecine" du Monde dans lequel elle est publiée, m'ont fait part de leur détresse et de leur sensation de manque. En attendant que la chronique reprenne, il y aura donc un zeste de science improbable chez le Passeur...
En remontant dans les
annales de la science, on s'aperçoit que la question n'est ni loufoque
ni nouvelle. Ainsi, en 1883, le médecin militaire britannique Raglan
Barnes, en poste aux Indes, se l'était posée en écrivant à ce sujet un articulet publié par le fort sérieux British Medical Journal. Ayant
constaté, en fréquentant les dispensaires et les hôpitaux civils, un
nombre important de calculs urinaires dans la population indigène, il
avait émis l'hypothèse qu'en plus de trouver leur origine dans le régime
alimentaire, ces pépins de santé pouvaient être favorisés par
l'habitude qu'avaient les Indiens d'uriner à croupetons. Dans son texte,
Raglan Barnes imagine que, pour l'homme, la position accroupie "paralyse l'action de l'organe musclé (la vessie, NDLR) qu'il veut vider". Le
résultat selon lui ? Une urine qui reste en plus grande quantité dans
la vessie et favorise la formation de calculs. Le médecin militaire
ajoute d'ailleurs que quand on est un homme, un vrai, on fait preuve de
droiture, dans la morale et dans la miction, et que la civilisation et
le colonisateur sauront inciter, je cite, "notre frère aryen" à sortir de son erreur.
Beaucoup plus près de nous, puisque leur travail est paru le 22 juillet dans la revue PLoS ONE,
des urologues de l'université de Leyde (Pays-Bas) se sont de nouveau
posé la question du docteur Barnes. Pour y répondre, ils ont passé la
littérature scientifique au peigne fin et trouvé 11 études comparant les
résultats des deux positions sur un échantillon total de huit cents
hommes. Tous ces articles avaient en commun de fournir des chiffres sur
la durée et le débit de la miction, tout en mesurant le liquide
demeurant dans la vessie une fois la braguette remontée. En faisant
l'analyse de toutes ces données, les chercheurs néerlandais se sont
aperçus que, dans le cas des participants en bonne santé, la position
n'avait aucune influence sur les résultats. En revanche, les choses
étaient un peu différentes pour les hommes souffrant de prostatisme.
Derrière ce nom se cachent
une série de symptômes, de troubles de la miction, dus à l'hypertrophie
bénigne de la prostate. Lorsque cette glande qui entoure l'urètre se
met à grossir, ce qui est courant avec l'âge, l'écoulement de l'urine se
ralentit et peut même devenir difficile, ce qui entraîne de fréquents
passages aux toilettes où ne sont évacués à chaque fois que de petits
volumes. Selon l'étude de PLoS ONE, les hommes victimes de
prostatisme tirent un léger bénéfice à uriner assis, peut-être parce que
la position nécessite, notamment chez des personnes âgées, moins de
crispation musculaire pour le maintien de l'équilibre : le débit de la
vidange et la quantité d'urine excrétée sont accrus (ce qui va à rebours
des suppositions de feu Mr Barnes). Les auteurs de l'article parlent,
avec des termes choisis, d'"une tendance vers un profil urodynamique plus favorable",
ce qui dit à quel point les améliorations notées sont faibles. Ils
concluent d'ailleurs en expliquant que le débat debout-assis ne peut
être tranché sur la seule foi des critères "urodynamiques".
Il est en revanche un
domaine où la miction debout présente un désavantage incontestable,
c'est celui de la propreté des lieux d'aisance. Tous ceux qui ont, dans
nos contrées, fréquenté un jour des toilettes pour hommes se sont
demandé comment les énergumènes qui les avaient précédés avaient bien pu
réaliser cette reconstitution miniature du Parc national de Yellowstone
après le déclenchement des geysers. Au moins deux techniques permettent
cette porcherie cet exploit : tenter – avec ses deux mains
accrochées à son téléphone portable – un grand pont sur Lionel Messi à
FIFA 14 tout en laissant la nature s'exprimer librement un étage plus
bas, ou bien essayer de viser la cuvette des toilettes depuis le fond
des WC en faisant un saut carpé. Diable, encore un choix...
Pierre Barthélémy (suivez-moi ici sur Twitter ou bien là sur Facebook)