Une haine viscérale
En 2003, «les couches supérieures n’avaient que du mépris pour les personnes simples et leurs besoins. Toute revendication en vue de restituer ne serait-ce qu’un petit peu de leur pouvoir et de leurs possessions était pour elles absolument inacceptable. Cette haine viscérale s’est intensifiée avec les années et tourne aujourd’hui à la pure violence», affirme Walter Suter. Et de rappeler que dès le début, les représentants des couches supérieures ont combattu par tous les moyens les programmes sociaux du gouvernement Chávez. «La droite n’a jamais accepté qu’un gouvernement de gauche s’établisse. Malgré son sabotage constant, 1,5 million d’analphabètes ont appris à lire et à écrire, l’accès gratuit à l’éducation et à la santé a été mis en place et des centaines de milliers de nouveaux logements ont été créés, ce qui est impressionnant». Il souligne aussi l’attitude hostile de Washington. «Cela ne convenait pas aux USA que toute une série de gouvernements de gauche soient élus sur un territoire qu’ils considèrent comme leur zone d’intérêt.» En particulier dans un pays comme le Venezuela, qui détient les plus grosses réserves mondiales de pétrole. Il s’agissait de reprendre le contrôle, via des forces locales qui ont été soutenues massivement financièrement et médiatiquement, ou par la subversion et l’intervention directe.
Les problèmes doivent se résoudre pacifiquement
Walter Suter admet que de nombreux problèmes existent aujourd’hui, en raison de sabotages internes et externes, mais aussi de la corruption et de la mauvaise gestion du pays par le gouvernement. Cela a conduit à la victoire de la coalition d’opposition MUD lors des élections de 2015, qui détient actuellement la majorité au parlement. Ces problèmes ne peuvent selon lui se résoudre que par la voie pacifique. À plusieurs reprises, le gouvernement a tenté de mettre sur pied un dialogue constructif avec l’opposition, avec le soutien notamment du Vatican ou de l’ancien président espagnol José Luis Rodríguez Zapatero. Mais les partis de droite ont toujours fini par se retirer.
Dans une telle situation, le choix de recourir récemment à une Assemblée constituante est pour lui justifié: «Elle donne au peuple la possibilité de faire un état des lieux, de redéfinir fondamentalement le vivre ensemble et dans quelle direction l’État doit se développer.» Cet instrument est prévu par la Constitution de 1999, qui a été adoptée par 70% des votants. L’assemblée peut être convoquée par le président du pays avec le Conseil des ministres, par deux tiers des députés du Parlement ou par un cinquième des personnes ayant le droit de vote. Une fois élue, elle se situe au-dessus des autres pouvoirs.
Août 2017. Rencontre de femmes et de familles de pêcheurs sur les rives du grand fleuve Apure, pour participer au débat national sur les propositions à l’Assemblée Constituante.
Incroyable malhonnêteté des médias contre un vote démocratique
L’ancien ambassadeur comprend mal que plusieurs gouvernements, dont la Suisse, aient sommé le Venezuela de renoncer à organiser l’élection au suffrage universel d’une Assemblée constituante: «Cet instrument existe dans la Constitution et les partis de droite ont même envisagé d’y recourir en 2014. Le CEELA (conseil d’experts électoraux d’Amérique latine), un organisme indépendant de juristes et spécialistes qui, en général, ont dirigé une autorité électorale dans leur pays d’origine, a déclaré que cette élection était absolument légale. Ce collège a accompagné environ 120 scrutins. Sa crédibilité est énorme et elle est acceptée par différents États latino-américains. De plus, les cinq experts du Honduras, de Colombie, du Salvador et d’Equateur qui ont accompagné les différentes phases de l’élection du 30 juillet sont tous actifs dans leur pays dans des partis conservateurs ou libéraux, en aucun cas de gauche», souligne Walter Suter, qui s’insurge contre l’absence de mention de ce rapport officiel dans la plupart des médias occidentaux. «La malhonnêteté intellectuelle des médias au sujet des processus au Venezuela est incroyable. Il y a une campagne mondiale de diffamation, de déstabilisation et de destruction», estime-t-il.
Le 30 juillet, 537 membres ont finalement été élus, auxquels s’ajoutent 8 représentants des peuples indigènes. Les 537 députés sont composés d’un élu par commune – respectivement de deux pour les capitales des provinces et de 7 pour Caracas et de 173 représentants sectoriels. «Le but est que l’assemblée ne soit pas composée uniquement de politiciens, mais qu’elle inclut largement la population. C’est pourquoi, en plus des représentants des communes, ont été élus aussi des représentants des travailleurs, des paysans, des handicapés, des entrepreneurs, des retraités, des étudiants et des LGBT», explique Walter Suter.
En plus de voter pour le représentant de sa commune, chacun pouvait choisir un représentant du secteur auquel il se sentait appartenir. Les partis de droite n’ont déposé aucune candidature et ont boycotté le scrutin. «L’élection a été fortement perturbée le 30 juillet», souligne Walter Suter, qui était sur place en tant qu’accompagnateur. «De nombreux locaux électoraux ont été bloqués et des personnes qui souhaitaient voter ont été agressées. Pourtant, 41.5% des personnes, soit 8 millions de votants ayant le droit de vote, ont participé, un chiffre que ni les chavistes ni l’opposition n’avaient pu atteindre dans le passé. C’était un vote pour la paix et contre la violence.»
Éternels occultés des médias, les secteurs populaires (90% de la population) ont une nouvelle fois créé la surprise en participant massivement au vote pour l’Assemblée Constituante, le 30 juillet 2017. En avril 2002, la population était déjà descendue des « barrios » de Caracas pour remettre au pouvoir le président Chavez, alors qu’il venait d’être renversé par les mêmes organisateurs des violences de 2013 et 2017 : partis de droite alliés à l’extrême droite et au réseau paramilitaire colombien, médias privés locaux et internationaux, sans oublier le MEDEF local, des militaires d’extrême droite et les financeurs états-uniens.
En finir avec l’impunité
Si la situation dans la rue s’est améliorée depuis le 30 juillet, elle reste compliquée. «Beaucoup dépend maintenant du travail de l’assemblée constituante», souligne Walter Suter. La question des excès de violence des derniers mois est urgente selon lui: «Il faut en finir avec l’impunité et toute personne qui a appelé à la violence devra rendre des comptes.» La responsabilité de la violence dans les rues repose clairement, selon l’ancien ambassadeur, sur les manifestations dites pacifiques, dans lesquelles des éléments violents se sont embrigadés. «Bien entendu, ce ne sont pas les auteurs intellectuels qui ont exercé cette violence, mais ils ont recruté des gens pauvres, du lumpenprolétariat, parfois même des enfants, et les ont armés avec des masques à gaz, des armes, de la drogue et de l’argent. Ce n’étaient pas des manifestants mais des « employés » dont la tâche était d’exercer de la violence et d’en provoquer.» Walter Suter rappelle que plus de 20 personnes ont été brûlées vives et que certaines ont succombé de leurs graves blessures. «Bien entendu, Amnesty International n’a rien écrit à ce sujet.»
En plus du traitement de ces faits, dont s’occupera une commission pour la vérité, la justice et la réparation, de nombreux points sont à l’ordre du jour de la nouvelle assemblée: «les élus devront s’attaquer à la problématique économique, à la situation toujours aussi compliquée de l’approvisionnement, au système d’importation et de distribution. Et bien entendu, aux questions de la diversification de l’économie et de la production nationale. D’autres défis seront de donner une base constitutionnelle aux réalisations sociales et de continuer à développer l’État de droit, en particulier en ce qui concerne la lutte contre la corruption et l’incitation à la haine. Enfin, l’assemblée constituante planchera sur la construction de la démocratie participative et tentera d’inscrire dans la Constitution les nouvelles formes de participation apparues au cours des dernières années, comme les conseils ouvriers.» Selon Walter Suter, l’Assemblée Constituante a deux ans pour faire ses preuves et soumettre une nouvelle Constitution à référendum. Même si cet organe se situe au-dessus des autres pouvoirs et a repris certaines compétences parlementaires, les institutions démocratiques continuent à fonctionner. En octobre 2017 par exemple auront lieu les élections des gouverneurs et une partie de l’opposition comme Acción Democrática de Henri Ramos Allup et 17 autres partis ont déjà décidé d’y participer. Le président Maduro s’est réjoui de cette décision.
Source: Gauchehebdo n° 35 du 1er septembre 2017 *. Merci à Bernard Tornare.
* Martin Schwander est journaliste à Gauchebdo, un hebdomadaire politique suisse romand édité à Genève, successeur de la Voix Ouvrière, fondée en 1944 par Léon Nicole.