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En moins de 48 heures, les rebelles de la Séléka ont chassé le président centrafricain François Bozizé du pouvoir. Le chef de l'État déchu s'est réfugié au Cameroun dans l'attente de son départ vers un autre pays d'accueil.
Les rebelles de la Séléka menaçaient de marcher sur Bangui depuis décembre 2012. Ils y sont finalement parvenus le week-end dernier, provoquant la fuite vers le Cameroun du président centrafricain, François Bozizé.
Pourtant, au vu du nombre de militaires des diverses forces étrangères
présentes dans la capitale centrafricaine, en plus des soldats de
l’armée régulière (Faca), qui auraient pu entraver la progression des
insurgés, la conquête de la ville s’annonçait un tant soit peu ardue.
La mission des militaires français à Bangui : assurer la sécurité des Français
En
réalité, à aucun moment les quelque 760 soldats de la Mission de
consolidation de la paix en République centrafricaine (Micopax ou encore
Fomac, sous mandat de la Communauté économique des États d’Afrique
centrale), n’ont réellement levé leurs armes contre la Séléka. Le 22
mars, à Damara, ville située à 75 km de Bangui, les rebelles ont certes
essuyé quelques tirs, mais ils n’ont, à en croire le porte-parole de la
Séléka, blessé personne.
Seul un
contingent sud-africain, opérant hors du cadre de la Micopax, a tenté
d’empêcher l’avancée des rebelles dans les faubourgs nord de Bangui.
Treize soldats sud-africains ont été tués, 27 blessés et un autre porté
disparu. "Un peu plus de 200 de nos soldats ont combattu des bandits
animés de mauvaises intentions, mais leurs agissements ne nous ont pas
fait renoncer à notre mission de paix et de sécurité", a déclaré, lundi,
le président sud-africain, Jacob Zuma, parlant d’un "triste jour pour
l’Afrique du Sud".
La mission des militaires français à Bangui : assurer la sécurité des Français
L'irritation du Tchad à l'égard de Bozizé
Pourtant, début janvier, le commandant de la force internationale,
le général gabonais Jean-Félix Akaga, avait haussé le ton à l’égard des
insurgés : "Si les rebelles attaquent Damara, c'est une déclaration de
guerre, cela veut dire qu'ils ont pris la résolution d'engager les dix
États d'Afrique centrale", avait-il déclaré, insinuant une réponse ferme
et violente à tout franchissement par la force du barrage situé dans la
ville. La Micopax venait tout juste de voir son mandat élargi, donnant à
ses soldats le droit de s’interposer, notamment en cas d’agression
"contre les responsables politiques de la transition".
La passivité de la force multinationale face à l’avancée des rebelles
n’a pas étonné Roland Marchal, chercheur au CNRS spécialiste de la
Centrafrique. "Cette force est composée essentiellement de Tchadiens,
explique-t-il. Or, Idriss Déby [le président tchadien] était
profondément irrité par Bozizé depuis plusieurs années déjà, à cause de
son incapacité à restaurer la loi et l’ordre dans le nord-est du pays,
où le Tchad a des intérêts, et à instaurer des relations commerciales
avec les pays voisins". Selon le chercheur, Idriss Déby aurait manifesté
pour la première fois sa volonté de voir chuter le régime de Bozizé
lors de l’attaque rebelle sur la ville frontalière de Sido le 1er mars
par la Séléka, où se trouve une garnison tchadienne. Assaut à laquelle
N’Djamena n’a pas réagi.
Ce feu vert tacite des autorités tchadiennes s’est confirmé par la
faible résistance de la Micopax lors de la prise de Damara. Les rebelles
n’ont pas eu davantage de difficultés à franchir les divers barrages
érigés entre Damara et Bangui et tenus par des soldats de la Force armée
centrafricaine (Faca). Mal encadrés, désorganisés, démotivés et mal
payés, les soldats de l’armée régulière, officiellement au nombre de
6 000, n’ont pas non plus opposé de résistance farouche dans les rues de
la capitale. Certains témoins racontent qu’à l’arrivée des forces
rebelles à proximité du palais de la résistance, résidence du chef de
l’État, les membres de la garde présidentielle ont ôté leur uniforme
pour se fondre dans la population civile…
L'Afrique du Sud "humiliée"
L'Afrique du Sud "humiliée"
Pretoria a déployé 400 hommes à Bangui, dans le cadre d’un accord
de coopération militaire signé en 2007 entre les deux pays. En décembre,
en pleine crise politique en Centrafrique, l’Afrique du Sud avait
renouvelé cet accord pour une durée de cinq ans. Officiellement, les
soldats sud-africains avaient pour mission de former leurs collègues
centrafricains. "Le renouvellement de l’accord de défense a surpris tout
le monde : traditionnellement, la zone d’intervention militaire de
l’Afrique du Sud ne va pas au-delà de la région des Grands Lacs,
rapporte Thierry Vircoulon. En réalité, il s’agissait d’un soutien
ouvert de Jacob Zuma à François Bozizé."
Les rebelles ne s’y sont pas trompés. Furieux, ils avaient exigé
que soit inscrit dans le texte de l’accord de paix, signé à Libreville
le 11 janvier 2013, le départ des troupes sud-africaines. "Maintenant,
les Sud-Africains vont devoir partir, et rapidement, estime Thierry
Vircoulon. Ils ont clairement perdu la bataille, c’est une humiliation
très importante pour l’Afrique du Sud."
Resteront les troupes de la force multinationale qui, même si elles
n’ont pas empêché le coup d’État, vont probablement poursuivre leur
mission de maintien de la paix, comme elles l’avaient fait en 2003 lors
de l’arrivée de François Bozizé au pouvoir. "Cela ressemble à ce qui
s’est passé il y a dix ans, note Thierry Vircoulon. Bozizé est parti de
la même façon qu’il est arrivé au pouvoir : une force de maintien de la
paix était présente à l’époque aussi, mais elle n’avait pas bougé quand
s’était produit le coup d’État. La répétition de ce scénario est
profondément ironique".