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Par Sylvain Cypel
Hormis les propos liminaires de son président, Bart Chilton, rien n'a filtré de la réunion qui, le 30 avril, a rassemblé les membres du comité technologique consultatif de la Commodity Futures Trading Commission, (CFTC), l'agence fédérale américaine qui, avec la Securities & Exchange Commission (SEC), contrôle les marchés aux Etats-Unis.
Ses membres - banquiers, traders, spécialistes universitaires de l'ingénierie financière... - avaient, ce jour-là, ajouté en urgence un point à leur ordre du jour.Ils souhaitaient réfléchir à la meilleure façon de se prémunir de piratages informatiques qui, demain, pourraient gravement perturber la fiabilité des marchés financiers alors qu'une part croissante des transactions est déterminée par des "automates" informatiques décidant pour leurs clients de vendre ou d'acheter à la milliseconde.
Six jours avant, le compte principal de l'agence Associated Press (AP) sur Twitter avait été piraté par une mystérieuse Armée électronique syrienne. Près de deux millions d'abonnés avaient reçu un message annonçant un attentat à la Maison Blanche, le président Obama était donné pour blessé. En trois minutes, Wall Street perdait 136 milliards de dollars (105 milliards d'euros) de capitalisation. Le canular éventé, tout rentrait bientôt dans l'ordre.
Tout, sauf l'inquiétude des spécialistes. Dès le lendemain, la CFTC ouvrait une enquête sur 28 contrats à terme soupçonnés d'avoir été négociés à des niveaux trop volumineux durant les cinq minutes qui avaient suivi l'annonce du faux tweet.
Mais la réunion du comité technologique de la CFTC portait sur des craintes d'une tout autre envergure. Comme devait le dire M. Chilton en introduction, "malgré les avantages que procurent les transactions électroniques et les médias sociaux, ces deux ingrédients mis ensemble peuvent donner une mixture désolante".
"NOUS N'ÉTIONS PAS PRÉPARÉS"
La manipulation des cours entraînée par le piratage d'AP est en effet intervenue quelques jours à peine après que la SEC eut officialisé l'autorisation accordée aux entreprises et à leurs dirigeants de diffuser des informations financières et économiques par le biais des médias sociaux.
L'agence Bloomberg avait immédiatement mis en place sur ses 310 000 terminaux une nouvelle entrée offrant aux investisseurs des messages Twitter - clairement identifiés comme tels - sélectionnés par elle comme les plus susceptibles de les intéresser.
Jugeant "inquiétant que les marchés aient pu réagir aussi rapidement à un canular", M. Chilton a souligné l'importance d'une meilleure régulation des transactions dites "high speed" (à très grande vitesse). Quels types de garde-fous ? Qui serait en mesure de les mettre en place et avec quels moyens ?
Pas une seule fois, en 2 300 pages, la loi dite Dodd-Frank de réforme financière adoptée aux Etats-Unis en 2010 n'évoque les enjeux posés par le trading à très grande vitesse, avait noté M. Chilton à la veille de la réunion. Et d'ajouter : "Voilà la rapidité à laquelle les marchés se métamorphosent. Trois ans après, nous n'y étions pas préparés."
DES HACKERS TOUJOURS PLUS INGÉNIEUX
Il pointait du doigt un sentiment largement partagé où les régulateurs semblent courir derrière l'innovation que génère l'ingénierie financière, mais aussi, corollaire obligé, celle dont font preuve des hackers toujours plus ingénieux.
Directeur du département de mathématiques financières de l'Université de New York, Marco Avellaneda trouve ce débat irréel. Le problème, dit-il, n'est pas technologique : il n'est ni dans le vecteur de l'information ni dans la rapidité de la transaction.
Citant Keynes, qui comparait le marché des actions à un "concours de beauté", où la valeur n'est pas un prix objectif, il juge que réguler l'"information" procède du mirage, dès lors que, exacte ou pas, celle-ci procède de la "créativité des marchés".
"Nombre de transactions sont quotidiennement fondées sur des rumeurs, vraies ou fausses. Ce qu'il faut, pour combattre les fraudes, c'est améliorer la transparence des transactions qui restent aux Etats-Unis plus opaques qu'ailleurs. Des dispositions sont prévues par la loi Dodd-Frank. Il suffirait seulement que les intérêts particuliers ne bloquent pas leur application", estime-t-il.