Pour Paul Krugman, la France est
depuis plus d'un an ciblée par une propagande négative, menée pour des
raisons idéologiques par les tenants de l'austérité à tout prix. Des
attaques qui auraient presque des airs de complot, avance le Prix Nobel.
- The New York Times
- | Paul Krugman
- 12 novembre 2013
Paul Krugman, le 22 mai 2012, à San Francisco - Commonwealth Club/FlickR/CC
Vendredi dernier, l'agence de notation Standard
& Poor's a abaissé la note de la France. Une décision qui a fait les gros
titres, bien des commentateurs laissant entendre que la France serait en crise.
Le tout sous le regard indifférent des marchés : les coûts d'emprunt du
pays, qui ont rarement été aussi bas, ont à peine frémi.
Alors, que se passe-t-il en réalité ? En fait,
il faut considérer l'intervention de S&P dans le contexte plus général de
la politique d'austérité budgétaire. Et je dis bien politique, et non économie.
Car le complot contre la France - j'ironise certes un peu, mais nombreux sont
ceux qui cherchent à ternir sa réputation - montre clairement qu'en Europe comme
en Amérique, les zélotes du budget ne se soucient guère des déficits. Au lieu
de cela, ils jouent sur la peur liée à la dette pour poursuivre des objectifs
idéologiques. Et la France, qui refuse de se prêter à ce jeu, est désormais la
cible d'une propagande négative de tous les instants.
Permettez-moi de vous en donner une idée plus précise. Il y a un an, l'hebdomadaire The Economist déclarait que la France était "la bombe à retardement au cœur de l'Europe", dont les problèmes éclipseraient ceux que connaissaient la Grèce, l'Espagne, le Portugal et l'Italie. En janvier 2013, un rédacteur en chef invité de CNN Money assurait que le pays était en "chute libre", "sur la voie d'une prise de la Bastille économique". Des sentiments que l'on retrouve dans toutes les lettres d'information économiques.
Plus productifs que les Allemands
Face à une telle rhétorique, il est légitime de s'attendre au pire quand on consulte les chiffres de la France. Or, ce que l'on découvre en fait, c'est un pays confronté à des difficultés économiques – qui ne l'est pas ? –, mais qui s'en tire dans l'ensemble aussi bien, sinon mieux que la plupart de ses voisins, à l'exception évidemment considérable de l'Allemagne. La croissance française, ces derniers temps, a été plutôt lente, mais est restée bien supérieure à celle, par exemple, des Pays-Bas, qui sont pourtant toujours notés AAA. Selon les critères conventionnels, il y a une dizaine d'années, les salariés français étaient en réalité un peu plus productifs que leurs homologues allemands. Et devinez quoi : ils le sont toujours.
Dans le même temps, les perspectives budgétaires du pays sont assurément tout sauf inquiétantes. Le déficit a été nettement jugulé depuis 2010, et le Fonds monétaire international estime que le rapport entre la dette et le PIB va en gros se stabiliser au cours des cinq prochaines années.
Qu'en est-il du fardeau représenté à long terme par une population vieillissante ? C'est un problème en France comme dans tous les pays riches. Mais la France affiche un taux de natalité supérieur à la plupart des Etats d'Europe – en partie grâce à des programmes du gouvernement qui encouragent les naissances et facilitent l'existence des mères actives –, si bien que ses projections démographiques sont beaucoup plus optimistes que celles de ses voisins, dont l'Allemagne. Par ailleurs, le remarquable système de santé français, de grande qualité pour un faible coût, représentera à l'avenir un réel avantage sur le plan budgétaire.
Par conséquent, si l'on se fie aux chiffres, on voit mal pourquoi la France mériterait une telle volée de bois vert. Une fois encore, que se passe-t-il donc ?
Les merveilles des "réformes structurelles"
Voici un élément de réponse : il y a deux mois, Olli Rehn, le commissaire européen aux Affaires économiques et monétaires, et l'un des principaux partisans d'une politique de l'austérité sans merci, n'a pas caché son mépris pour la politique budgétaire apparemment exemplaire de la France. Pourquoi ? Parce qu'elle était fondée sur une augmentation des impôts plutôt que sur une réduction des dépenses. Et la hausse de la pression fiscale, a-t-il déclaré, risquait de "détruire la croissance et de handicaper la création d'emplois".
En d'autres termes, oubliez ce que j'ai dit sur la discipline budgétaire, vous êtes censé démanteler votre système social.
Permettez-moi de vous en donner une idée plus précise. Il y a un an, l'hebdomadaire The Economist déclarait que la France était "la bombe à retardement au cœur de l'Europe", dont les problèmes éclipseraient ceux que connaissaient la Grèce, l'Espagne, le Portugal et l'Italie. En janvier 2013, un rédacteur en chef invité de CNN Money assurait que le pays était en "chute libre", "sur la voie d'une prise de la Bastille économique". Des sentiments que l'on retrouve dans toutes les lettres d'information économiques.
Plus productifs que les Allemands
Face à une telle rhétorique, il est légitime de s'attendre au pire quand on consulte les chiffres de la France. Or, ce que l'on découvre en fait, c'est un pays confronté à des difficultés économiques – qui ne l'est pas ? –, mais qui s'en tire dans l'ensemble aussi bien, sinon mieux que la plupart de ses voisins, à l'exception évidemment considérable de l'Allemagne. La croissance française, ces derniers temps, a été plutôt lente, mais est restée bien supérieure à celle, par exemple, des Pays-Bas, qui sont pourtant toujours notés AAA. Selon les critères conventionnels, il y a une dizaine d'années, les salariés français étaient en réalité un peu plus productifs que leurs homologues allemands. Et devinez quoi : ils le sont toujours.
Dans le même temps, les perspectives budgétaires du pays sont assurément tout sauf inquiétantes. Le déficit a été nettement jugulé depuis 2010, et le Fonds monétaire international estime que le rapport entre la dette et le PIB va en gros se stabiliser au cours des cinq prochaines années.
Qu'en est-il du fardeau représenté à long terme par une population vieillissante ? C'est un problème en France comme dans tous les pays riches. Mais la France affiche un taux de natalité supérieur à la plupart des Etats d'Europe – en partie grâce à des programmes du gouvernement qui encouragent les naissances et facilitent l'existence des mères actives –, si bien que ses projections démographiques sont beaucoup plus optimistes que celles de ses voisins, dont l'Allemagne. Par ailleurs, le remarquable système de santé français, de grande qualité pour un faible coût, représentera à l'avenir un réel avantage sur le plan budgétaire.
Par conséquent, si l'on se fie aux chiffres, on voit mal pourquoi la France mériterait une telle volée de bois vert. Une fois encore, que se passe-t-il donc ?
Les merveilles des "réformes structurelles"
Voici un élément de réponse : il y a deux mois, Olli Rehn, le commissaire européen aux Affaires économiques et monétaires, et l'un des principaux partisans d'une politique de l'austérité sans merci, n'a pas caché son mépris pour la politique budgétaire apparemment exemplaire de la France. Pourquoi ? Parce qu'elle était fondée sur une augmentation des impôts plutôt que sur une réduction des dépenses. Et la hausse de la pression fiscale, a-t-il déclaré, risquait de "détruire la croissance et de handicaper la création d'emplois".
En d'autres termes, oubliez ce que j'ai dit sur la discipline budgétaire, vous êtes censé démanteler votre système social.
Si S&P justifie sa baisse de la note française
de façon moins limpide, son explication revient au même. La France a été
dégradée parce qu'il "est peu probable que l'approche
actuelle du gouvernement français des réformes budgétaires et structurelles, de
la fiscalité, du marché des produits, des services et de la main-d'œuvre
renforce substantiellement les perspectives de croissance à moyen terme de la
France". Là encore, peu importent les chiffres du budget,
où sont les baisses d'impôts et la déréglementation ?
Peut-être M. Rehn et S&P fondent-ils leurs exigences sur des indices démontrant sans l'ombre d'un doute que la réduction des dépenses vaut mieux pour l'économie que les hausses fiscales. Pas du tout. En fait, des recherches menées par le FMI laissent entrevoir que quand on veut limiter les déficits durant une récession, c'est l'inverse qui est vrai : des augmentations temporaires des impôts sont moins dommageables qu'une réduction des dépenses.
Oh, et quand les gens commencent à vous décrire les merveilles de la "réforme structurelle", prenez ça avec des pincettes, ou plutôt de grosses pinces. C'est une sorte de synonyme de "déréglementation" - dont les vertus restent sérieusement à démontrer. Rappelez-vous, l'Irlande avait été saluée en fanfare pour ses réformes structurelles dans les années 90 et 2000 ; un "formidable exemple", s'était extasié George Osborne, aujourd'hui ministre britannique des Finances, en 2006. Comment tout cela s'est-il terminé ?
Si les lecteurs américains ont l'impression d'avoir déjà entendu ça quelque part, c'est normal. Aux Etats-Unis, les pourfendeurs du budget s'avèrent presque à chaque fois plus pressés d'effectuer des coupes claires sombres dans Medicare et le système de retraites que de réduire effectivement les déficits. Les défenseurs européens de l'austérité, manifestement, sont faits du même bois. La France a commis le péché impardonnable d'être responsable sur le plan budgétaire sans pour autant accroître les malheurs des démunis et des malchanceux. Pour cela, elle doit être châtiée.
Article publié le 10 novembre
Peut-être M. Rehn et S&P fondent-ils leurs exigences sur des indices démontrant sans l'ombre d'un doute que la réduction des dépenses vaut mieux pour l'économie que les hausses fiscales. Pas du tout. En fait, des recherches menées par le FMI laissent entrevoir que quand on veut limiter les déficits durant une récession, c'est l'inverse qui est vrai : des augmentations temporaires des impôts sont moins dommageables qu'une réduction des dépenses.
Oh, et quand les gens commencent à vous décrire les merveilles de la "réforme structurelle", prenez ça avec des pincettes, ou plutôt de grosses pinces. C'est une sorte de synonyme de "déréglementation" - dont les vertus restent sérieusement à démontrer. Rappelez-vous, l'Irlande avait été saluée en fanfare pour ses réformes structurelles dans les années 90 et 2000 ; un "formidable exemple", s'était extasié George Osborne, aujourd'hui ministre britannique des Finances, en 2006. Comment tout cela s'est-il terminé ?
Si les lecteurs américains ont l'impression d'avoir déjà entendu ça quelque part, c'est normal. Aux Etats-Unis, les pourfendeurs du budget s'avèrent presque à chaque fois plus pressés d'effectuer des coupes claires sombres dans Medicare et le système de retraites que de réduire effectivement les déficits. Les défenseurs européens de l'austérité, manifestement, sont faits du même bois. La France a commis le péché impardonnable d'être responsable sur le plan budgétaire sans pour autant accroître les malheurs des démunis et des malchanceux. Pour cela, elle doit être châtiée.
Article publié le 10 novembre