par Lucas Koerner, de Venezuelanalysis
Le Venezuela domine une fois de
plus l’actualité internationale alors que les manifestations violentes
visant à renverser le gouvernement élu de Maduro entrent dans leur
septième semaine. Les manifestations ont coûté la vie à cette date à au
moins 54 personnes depuis le 4 avril, dépassant la précédente vague de
manifestations violentes anti-gouvernementales de 2014, connue comme
« la Sortie ». Toutefois, cette fois-ci les troubles coïncident avec une
grave récession économique et un paysage géopolitique transformé,
marqué par le retour de la droite au Brésil et en Argentine, ainsi que
par un régime encore plus belliqueux à Washington.
En attendant, l’indignation
internationale face à ce dernier effort violent pour évincer le
gouvernement chaviste a été bien plus feutrée que la dernière fois.
A l’exception notable d’une lettre ouverte des membres de LASA (Latin American Studies association), d’une déclaration conjointe UNAC/BAP (United
National Antiwar Coalition et Black Alliance for Peace), et d’autres
actions de protestation moindres, la gauche aux Etats-Unis est restée
pour l’essentiel aussi passive face à l’intervention de plus en plus
ouverte de l’administration Trump contre le Vénézuela, qu’à l’égard de
la censure systématique des médias, préférant le silence à la solidarité
active avec le chavisme.
Dans cet environnement, certains universitaires ont
publiquement rompu avec le gouvernement Maduro à cause de sa réponse à
la crise économique et politique actuelle du pays.
Dans un récent article pour NACLA, le professeur
adjoint de l’Université d’Albany, Gabriel Hetland, se désolidarise du
gouvernement bolivarien, évoquant des préoccupations au sujet de la
dérive « autoritaire » de Maduro.
« Cependant, si bien les
allégations précédentes d’autoritarisme de la part du Vénézuela avaient
eu peu de fondement, ce n’est plus le cas aujourd’hui », écrit-il.
Tout en respectant profondément
les contributions critiques du professeur Hetland au débat sur le
Vénézuela, à Venezuelanalysis –un collectif de journalistes et de
militants qui ont à un moment ou à un autre vécu, étudié et/ou travaillé
au Vénézuela-, nous rejetons fermement cette accusation d’autoritarisme
pour des raisons aussi bien analytiques que politiques.
Remettre les pendules à l’heure
Hetland cite un certain nombre
d’actions récentes du gouvernement vénézuélien pour étayer ses
allégations, notamment la soi-disant « dissolution » de l’Assemblée
Nationale, tenue par l’opposition, par la Cour Suprême,
l’ « annulation » du référendum révocatoire, le report des « élections
municipales et régionales qui auraient dû avoir lieu en 2016 » et le
blocage de l’activité législative de l’Assemblée Nationale par la Cour
Suprême en 2016.
Ce récit pose bien entendu un certain nombre de problèmes.
Pour commencer, plusieurs éléments sont présentés de telle sorte qu’ils induisent en erreur, voire sont totalement inexacts.
Tout d’abord, comme l’a signalé
Venezuelanalysis à l’époque, les décisions du 29 mars de la Cour Suprême
(TSJ) n’ont pas « dissous » l’Assemblée Nationale, contrairement à ce
qui a été rapporté de manière quasiment uniforme par la presse
dominante. Les décisions visaient plutôt à autoriser temporairement le
pouvoir judiciaire à exercer les fonctions législatives pertinentes, ce
qui dans ce cas signifiait l’adoption d’un accord pressant pour une
entreprise mixte entre l’entreprise pétrolière de l’état vénézuélien
PDVSA et son homologue de la Russie, Rosneft, était décisif pour la
solvabilité de PDVSA. La décision, basée sur l’article 336.7 de la
constitution vénézuélienne, a provoqué une division au sein du chavisme,
l’ancien et l’actuelle Procureur Général ralliant les camps opposés de
ce clivage constitutionnel. On peut certes critiquer la décision,
maintenant annulée, sur la base de motifs constitutionnels et
politiques, mais la présenter comme une « dissolution » du parlement est
de mauvaise foi.
Ceci nous conduit à la question du
blocage par la Cour Suprême de la législature à majorité d’opposition
de 2016. Il est indéniable que la TSJ a en fait annulé trois des quatre
lois que l’AN avait réussi à adopter l’année dernière. Toutefois, c’est
un jeu qui se joue à deux et Hetland minimise gravement le rôle joué par
l’opposition dans cette longue impasse institutionnelle. Il est
important de noter que l’AN n’a « abusé de ses compétences » que « dans
certains cas », comme le décrit Hetland.
Dès son investiture en janvier
2016, l’AN a déclaré la guerre à l’ordre institutionnel bolivarien conçu
par le chavisme, le président de l’AN, Henry Ramos Allup promettant
d’évincer Maduro «en six mois », une menace ouvertement
inconstitutionnelle à l’encontre d’un président en exercice. Un
échantillon de la législation souhaitée par l’Assemblée Nationale en
2016 inclut une loi pour privatiser le programme de logements publics du
Venezuela, une loi pour restituer les terres et les entreprises
expropriées à leurs anciens propriétaires, une loi forçant l’exécutif à
accepter l’aide humanitaire dans le pays, l’infâme loi d’amnistie ainsi
qu’un amendement à la Constitution qui réduirait rétroactivement de deux
ans le mandat présidentiel. On peut ajouter à cette liste la tentative
de coup d’état parlementaire de l’opposition, lorsque celle-ci déclara
que Maduro « avait abandonné son poste » en octobre d’abord, puis encore
une fois en janvier dernier, chose que Hetland omet de reconnaître. Il
ne dit pas non plus la raison du statut actuel de la législature,
déclaré « nul », c’est-à-dire le refus de l’opposition de révoquer trois
de ses députés de l’état d’Amazonas actuellement mis en examen pour
achat de voix, en violation flagrante de la haute cour. On a donc le
droit de critiquer le blocage de l’AN par la TSJ, mais minimiser
l’effort systématique du parlement fait pour renverser par tous les
moyens le gouvernement bolivarien induit franchement en erreur.
De la même manière, Hetland omet
le rôle joué par l’opposition dans la suspension du processus de
référendum révocatoire (RR). Comme nous l’avons indiqué, le parlement
dominé par l’opposition a pris ses fonctions avec pour objectif de
renverser Maduro « en six mois », objectif bien évidemment incompatible
avec le référendum révocatoire, qui prend un minimum de huit mois. En
effet, le RR n’était qu’une des quatre stratégies pour évincer Maduro
que l’opposition avait prévues dans son plan dévoilé en mars 2016, qui
incluait également l’amendement constitutionnel cité précédemment, une
assemblée constituante pour réécrire la constitution (l’opposition est
maintenant contre), et exciter la rue pour contraindre Maduro à
démissionner. Étant donné ses propres divisions intestines, l’opposition
a pris du retard dans le démarrage du référendum révocatoire et a fait
de graves erreurs procédurales, comme la collecte de 53658 signatures
frauduleuses, qui a fourni un prétexte au gouvernement pour paralyser
indéfiniment la procédure devant les tribunaux. Nul doute que le
gouvernement Maduro a trainé des pieds lors du processus de referendum
révocatoire, sachant parfaitement qu’il risquait de le perdre, mais ce
n’était pas du tout le scénario partial que présente Hetland.
Enfin, le Conseil National
Électoral (CNE) a effectivement reporté les élections régionales prévues
pour l’année dernière, invoquant des conflits logistiques par rapport
au processus de RR, argument difficile à défendre sur le plan
constitutionnel et politique. Il vaut cependant la peine de signaler
qu’il existe un précédent de ce type de retard : les élections locales
de décembre 2004 ont fini par être reportées à août 2005 pour cause de
référendum révocatoire contre le Président Chavez l’année précédente.
Dans sa hâte pour discréditer le caractère démocratique du Vénézuela,
Hetland fait l’impasse sur cet important détail.
En outre, si bien il est
parfaitement légitime de critiquer le gouvernement bolivarien parce
qu’il retarde la course des gouverneurs, pour les élections municipales
c’est une toute autre histoire. Les élections locales sont prévues en
2017, ce qui signifie qu’elles peuvent avoir lieu à tout moment avant la
fin de l’année. En suggérant que le gouvernement a reporté les
élections locales, Hetland commet une autre erreur factuelle qui lui
permet de consolider sa démonstration essentiellement idéologique d’un
« autoritarisme rampant » du gouvernement Maduro, comme on le verra plus
loin.
Fétichisation de la démocratie libérale
Au-delà de ces inexactitudes et de
ces déformations, le principal problème de l’article de Hetland est sa
notion implicite d’ « autoritarisme », qu’il ne prend jamais la peine de
définir.
Sans s’étendre sur l’origine du
terme, force est de rappeler que l’autoritarisme est loin d’être un
concept politiquement neutre.
Comme Hetland le fait remarquer à
juste titre, le chef d’accusation d’autoritarisme a été lancé de manière
contestable contre le gouvernement Chavez et d’autres gouvernements de
la « vague rose » qui étaient dénoncés par les commentateurs et
politologues occidentaux pour avoir osé contester l’hégémonie de la
démocratie représentative capitaliste et (néo)libérale.
En effet, pendant toute la dernière décennie, les politologues sous la conduite de l’ancien ministre des affaires du Mexique Jorge Casteñeda
ont fait la distinction entre une gauche « bonne », réformiste,
libérale, représentée par celle de Lula Da Silva au Brésil, qui est
prête à composer avec Washington et le capital transnational et une
« mauvaise » gauche, radicale, populiste, incarnée par Hugo Chávez, qui a
ouvert les vannes libérales et représentatives pour conduire la
participation de masse dans la gouvernance démocratique.
Comme le souligne Sara Motta, c’est une distinction
binaire de nature profondément coloniale : la « bonne gauche »
occidentalisée et « mûre » a appris des soi-disant échecs du marxisme
révolutionnaire et épousé le réformisme, alors que la « mauvaise
gauche » reste engluée dans le clientélisme et l’autoritarisme tribal du
passé « prémoderne », qui la rendent hostile à la démocratie libérale.
Cette dichotomie « bonne/mauvaise
gauche » n’a bien entendu rien de nouveau, c’est la sempiternelle
distinction entre gauche « révolutionnaire » et gauche « démocratique »
appliquée à la gauche latino-américaine depuis la Révolution cubaine,
qui à son tour remonte à l’opposition classique de la « civilisation »
contre la « barbarie ».
Hetland, au lieu de remettre en
question le critère idéologique libéral sur lequel elle repose ,
perpétue cette distinction binaire coloniale, lorsqu’il annonce que le
gouvernement Maduro a basculé dans le sombre règne de l’autoritarisme :
En annulant le référendum
révocatoire, en suspendant les élections et en empêchant les dirigeants
de l’opposition de se porter candidats, le gouvernement vénézuélien
entrave la faculté du peuple vénézuélien de s’exprimer par la voie
électorale. On voit mal ce que cela peut être d’autre, sinon de
l’autoritarisme rampant.
En d’autres termes, ce qui semble
pour Hetland constituer de « l’autoritarisme », c’est que l’on invalide
des normes formelles de la démocratie libérale, notamment la séparation
des pouvoirs, menaçant les droits politiques de l’opposition de droite
du pays.
Ce qui ressort de cette approche
formaliste est une sorte de liste à cocher à la Freedom House, où les
points forts et les points faibles des régimes du Sud (liberté
d’expression, de la presse, etc.) sont soupesés statistiquement avant
que la sentence morale irrévocable ne tombe concernant la « qualité
démocratique ». Le Venezuela n’est pas encore un « régime autoritaire
total », nous dit Hetland, « étant donné l’accès significatif qu’a
l’opposition aux médias traditionnels et sociaux et l’importante
capacité de celle-ci de participer à la contestation
antigouvernementale ». Sur ce point, la conclusion de Hetland est
pratiquement identique à celle du courant dominant les centres d’études
de l’Amérique Latine, qui a depuis longtemps inventé des formules
alambiquées telles que « autoritarisme compétitif participatif » pour
caractériser le gouvernement bolivarien.
Le problème de ce point de vue est
qu’il finit par réifier ces pratiques soi-disant autoritaires, et par
en faire la cause – associée aux efforts de l’opposition pour renverser
le régime- de la crise actuelle du Venezuela plutôt que le symptôme du
rapport de forces sous-jacent.
Le piétinement supposé de
certaines normes démocratiques libérales –notamment le report des
élections régionales- par le gouvernement de Maduro est sans conteste
très préoccupant, précisément parce qu’il met en évidence l’impasse
catastrophique dans le processus révolutionnaire bolivarien.
Venezuelananalysis a depuis
longtemps critiqué les manœuvres institutionnelles imposées par le
gouvernement bolivarien pour endiguer les efforts de l’opposition pour
évincer Maduro, que nous considérons comme une tentative conservatrice
de maintien du statu quo au lieu de mobiliser les masses du peuple d’en
bas pour sortir de la paralysie actuelle et trouver une sortir de la
crise dans des conditions révolutionnaires.
Dans la même veine, nous avons
critiqué les tendances au sein de l’état qui selon nous consolident le
pouvoir de fractions de la classe « boli-bourgeoise » corrompue et
réformiste dans la bureaucratie et l’armée, notamment le contrôle direct
des importations par de l’armée, la libéralisation de facto des prix,
la réduction des dépenses sociales associée à un service de la dette
draconien, l’Arc minier de l’Orénoque, une procédure discutable mais
maintenant modifiée d’enregistrement des partis et un tournant
conservateur dans la politique de lutte contre la criminalité.
Or, Hetland reste étrangement
silencieux au sujet de ces reculs et de ces régressions des quatre
dernières années, qui à toutes fins pratiques sont bien plus graves que
nombreux des abus « autoritaires » qu’il décrit.
C’est précisément là que
l’accusation « d’autoritarisme » trahit son parti-pris idéologique
libéral : en donnant la priorité aux violations procédurales qui
frappent l’opposition bourgeoise de droite, Hetland rend invisible la
dynamique sous-jacente de l’affrontement de classe qui a un impact
brutal sur les classes populaires.
Par conséquent, et contrairement à
ce qu’affirme Hetland, le problème n’est pas en soi que les normes
démocratiques libérales ont été affaiblies, mais plutôt que la
construction révolutionnaire des institutions alternatives de la
démocratie radicale participative –« l’état communal » selon Chávez- est confrontée à des obstacles structurels décisifs.
Sur ce point il faut être sans ambigüité : la
démocratie libérale n’est ni absolue ni universelle, et sa relation aux
processus révolutionnaires est toujours fonction du contexte. Imposer
ces normes à la Révolution cubaine, par exemple, dans son contexte de
siège impérial génocidaire est le comble de l’absurdité et de
l’irresponsabilité politique. Dans ces circonstances, le modèle cubain
de démocratie révolutionnaire, malgré ses défauts et ses limites, n’est
pas moins légitime que d’autres projets socialistes démocratiques qui
ont utilisé stratégiquement certains éléments de la démocratie libérale,
comme le Chili et le Nicaragua dans les années 70 et 80 ou le Vénézuela
et la Bolivie aujourd’hui.
Le processus bolivarien est cependant
fondamentalement différent, dans la mesure où il repose sur la voie
électorale vers le socialisme qui aborde l’ordre démocratique et
bourgeois existant comme un espace stratégique de lutte contre
l’hégémonie. Dans ce contexte, la suspension de certains droits libéraux
tels que les élections ou certaines libertés pour l’opposition ne
seraient acceptables que dans des circonstances exceptionnelles, si le
gouvernement bolivarien était en train de prendre des mesures
révolutionnaires pour régler la crise actuelle et exigeait une
légitimité sans conteste à ses bases sociales.
Malgré l’indéniable spirale de violence politique et
économique provoquée par l’opposition, le Vénézuela ne traverse
malheureusement pas l’équivalent d’une « période spéciale », dans la
mesure ou la direction du parti et de l’état a échoué à s’attaquer à la
corruption endémique et à mener l’offensive contre l’ennemi capitaliste
local et transnational, comme ce fut le cas lors de tournants
révolutionnaires cruciaux en Russie, en Chine et à Cuba.
Compte tenu de cette réalité, le message qui émane de
certains secteurs du chavisme selon lequel il ne saurait y avoir
d’élections dans des conditions de combat – un argument légitime dans
d’autres contextes, notamment dans la Grande-Bretagne assiégée par les
Nazis- est pour le moins contestable. Néanmoins, cet argument est utile
dans la mesure où il démontre que la démocratie libérale est un critère
d’évaluation totalement inadapté aux processus révolutionnaires, qui
obscurcit bien plus qu’il n’éclaire la situation, comme dans le cas de
la critique de Hetland de « l’autoritarisme » au Vénézuéla.
Qu’ils s’en aillent tous ?
Dans ce diagnostic des causes de la crise actuelle,
notre position coïncide avec celle de la grande majorité des mouvements
de gauche vénézuéliens dont la principale doléance est loin d’être la
litanie des pratiques « autoritaires » contre l’opposition de droite
qu’énumère Hetland, mais bien au contraire les mesures réformistes et
parfois franchement contre-révolutionnaires du gouvernement Maduro.
La même chose vaut pour les classes populaires du
Vénézuéla – la base sociale du chavisme- qui se moque bien de ce que la
Cour Suprême a bloqué l’Assemblée Nationale et de ce que le président
ait gouverné par décret d’urgence économique depuis février 2016. Selon
l’institut de sondages indépendant Hinterlaces, près de 70 % des
vénézuéliens ont une opinion défavorable du parlement contrôlé par
l’opposition, tandis que 61% ont peu d’espoir qu’un gouvernement futur
de l’opposition règle les problèmes économiques profonds du pays. La
majorité des vénézuéliens souhaite plutôt que le gouvernement Maduro
reste au pouvoir et trouve une solution à la crise économique actuelle.
Leur mécontentement ne vient pas du recours de Maduro aux pouvoirs
d’urgence, contrairement à ce que racontent les medias, mais plutôt de
ce qu’il échoue à s’en servir pour prendre des mesures décisives de
consolidation de la révolution, au lieu de faire davantage de
concessions au capital.
Malgré les revers, reculs et trahisons qui ont
caractérisé les quatre dernières années depuis le décès de Chávez,
l’humeur parmi les masses vénézuéliennes n’est pas celle d’un rejet
uniforme de tout l’establishment politique du Vénézuela, comme le
suggère Hetland dans une généralisation simplificatrice.
S’il y a un slogan qui reflète
bien l’humeur des classes populaires vivant en ce moment dans les
barrios et villages du Vénézuela, ce serait sans doute : Que se vayan
todos. Qu’ils s’en aillent tous.
Si bien le chavisme a perdu une
partie importante de ses soutiens au cours des cinq dernières années et
si les rangs des indépendants, ou des ni-ni, ont grossi pour atteindre
plus de 40% de la population, le PSUV demeure remarquablement le parti
le plus populaire du pays, ses soutiens passant de 27 à 35% de la
population depuis janvier. De même, Maduro compte sur l’approbation de
près de 24% des vénézuéliens, ce qui en fait un président plus populaire
que ceux du Brésil, du Mexique et du Chili – fait systématiquement omis
par les médias internationaux non indépendants. Ces sondages demeurent
assez incroyables compte tenu de la gravité de la crise économique qui
ravage actuellement le pays, et témoignent de l’efficacité partielle de
certaines mesures du gouvernent, telles que les CLAPs (Comités locaux d’approvisionnement et de production), ainsi l’absence de programme alternatif proposé par l’opposition.
De même, malgré la désillusion croissante à l’égard
du gouvernement et les indices d’une éventuelle rupture, le fait est que
la majorité écrasante des mouvements sociaux du Venezuela et des partis
politiques de gauche continue de soutenir Maduro.
Qui plus est, cette unité de la gauche en soutien au
gouvernement bolivarien n’a fait que se durcir face à l’offensive de
l’opposition en cours et en vue de l’Assemblée Nationale Constituante
qui doit se tenir dans les prochains mois.
Aussi déconcertante qu’elle soit, cette défense
farouche du gouvernement Maduro est parfaitement logique pour au moins
deux raisons.
La première, comme peut en témoigner tout chaviste
qui a vécu les six dernières semaines de terreur de droite, le choix
entre la continuité du chavisme au pouvoir et un régime d’opposition
n’est pas une simple question de préférence idéologique, c’est une
question de survie, nul ne peut prévoir le degré de violence politique
et structurelle que débriderait l’opposition si elle parvenait à prendre
Miraflores. Cela ne revient en aucun cas à nier ni à minimiser les
répercussions de la crise économique actuelle, pour laquelle le
gouvernement porte une grande part de responsabilité, mais il n’y a
aucun doute qu’un gouvernement d’opposition porterait cette guerre
économique contre les pauvres à un nouveau niveau de sauvagerie
néolibérale.
La deuxième est que l’existence du gouvernement
bolivarien incarne la persistante possibilité d’une transformation du
petro-état bourgeois hérité, dans le cadre de la transition vers le
socialisme du 21ème siècle. S’il est vrai qu’il a de raisons
d’être sceptique quant aux possibilités réelles de faire avancer la
démocratisation et la décolonisation de l’état vénézuélien dans cette
conjoncture, il y a eu un déferlement de soutien populaire à l’Assemblée
Nationale Constituante qui pourrait servir de vecteur à une reprise de
l’offensive révolutionnaire et institutionnaliser les revendications
radicales venant d’en bas.
Ce vaste consensus de soutien décisif au gouvernement
apporté par la gauche du Vénézuela contraste nettement avec l’approche
de Hetland de « la malédiction sur vos deux maisons », qui, selon
Ellner, aboutit à « mettre dans le même sac les leaders de l’opposition
et les chavistes », comme deux alternatives également indésirables.
S’il y une énorme colère et frustration à l’égard du
gouvernement, qui pourrait se traduire par une terrible défaite
électorale du chavisme lors des prochaines élections, le sentiment qui
prévaut toutefois dans une grande partie des classes populaires du
Vénézuela face à la terreur que fait régner en ce moment l’opposition
demeure est « no volverán » (ils ne reviendront pas).
Le rôle de la solidarité
Tout ceci nous conduit à la position des militants de la solidarité internationale avec le Vénézuéla.
Nous sommes absolument d’accord avec Hetland pour
dire que c’est du devoir de chaque personne de gauche et de chaque
progressiste qui se respecte de « rejeter tout appel à l’intervention
impérialiste visant à « sauver » le Vénézuéla ».
Néanmoins, alors que l’anti-interventionnisme est une
nécessité urgente, la question se pose de savoir avec qui nous sommes
censés être solidaires.
Hetland nous appelle à être aux côtés de « la
majorité des Vénézuéliens qui souffrent aux mains d’une opposition
revancharde et inconsciente, et d’un gouvernement incompétent et
irresponsable. »
Le résultat d’une approche de ce type, de la
« malédiction sur vos deux maisons » est un refus de prendre parti dans
ce combat, en un mot, la neutralité. Cette position découle
naturellement du cadre libéral de Hetland de l’autoritarisme, qui place
nécessairement l’intellectuel occidental dans le rôle de l’arbitre
désincarné, adoptant le point de vue cartésien de « l’œil de Dieu »,
selon les termes d’Enrique Dussel, seul capable de pondérer
objectivement les vertus et les déficits démocratiques des régimes du
Tiers Monde.
A contrario, Venezuelanalysis prend
inconditionnellement position pour le mouvement socialiste bolivarien du
Vénézuela, qui dans cette conjoncture continue de soutenir de manière
critique le gouvernement de Maduro.
Nous adoptons cette position non par aveuglément à
l’égard des nombreux défauts et trahisons du gouvernement bolivarien,
mais parce que (et en particulier nos journalistes sur le terrain) nous
savons que pour un très grand nombre de chavistes, le choix entre la
radicalisation de la révolution et la restauration de droite est
littéralement, une question de vie ou de mort.
Traduction : Paula Raonefa
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