C’est l’histoire d’un aventurier devenu journaliste. Pas Joseph Kessel, mais presque. Maurice Lemoine, figure bien connue des spécialistes de l’Amérique latine, était de passage à Paris entre deux escapades à Caracas et Bogota. Nous avons donc pris rendez-vous.
«On me prend parfois pour un gauchiste.» Difficile de contredire
cette réputation en France lorsque l’on a défendu les FARC et que l’on
défend maintenant le pouvoir au Venezuela. Souvent caricaturé comme un
suppôt de Chavez en France, Maurice Lemoine a pourtant accepté de se
confier à Sputnik. Rendez-vous chez lui, dans le quartier de la Goutte
d’Or, quartier historique du XVIIIe arrondissement de Paris, entre les
salons de coiffure afro et les cafés Internet crasseux. Une fois arrivé,
il fait part de ses réserves quant à ce portrait, pas très motivé à
l’idée de ce papier, opposé, dit-il à la starification des journalistes.
L’entretien commence malgré tout, après avoir été rassuré sur mes
intentions, ne prétendant à aucune visée voyeuriste façon «Ambition
intime».
Pourquoi ce portrait? Parce que le personnage détonne dans le milieu journalistique français, présenté, à tort ou à raison, comme moutonnier, cancanier, casanier et endogame. Non, Maurice Lemoine ne sort pas d’une école de journalisme, lui qui conseille aux jeunes pousses du métier d’engranger de l’expérience, les petits boulots, de découvrir la vie en somme, avant de devenir journaliste. Le personnage dérange aussi sur son aire de prédilection: l’Amérique latine. D’abord la Colombie et les FARC (Fuerzas armadas revolucionarias de Colombia), sur lesquelles il tient un discours nuancé puis surtout sur le Venezuela, Hugo Chavez et Nicolas Maduro, où il se situe radicalement à contre-courant du discours ambiant.
Comment catégoriser Maurice Lemoine? Son pied-à-terre aide à le cerner, un intérieur exotique, très coloré, entre les souvenirs de voyage d’un véritable globe-trotter (non à la manière d’un homo festivus) et une bibliothèque remplie de littérature révolutionnaire. Lui-même ne se dit même plus journaliste, mais témoin. Il a pourtant commencé au Monde Diplomatique en 1983 en couvrant d’abord les conflits en Amérique centrale, puis la Colombie et désormais le Venezuela.
Sa jeunesse et sa période pré-Amérique latine peuvent être ainsi décrites comme… mouvementées. Le média Le Grand Soir publiait d’ailleurs en 2013 une recension d’un de ses ouvrages, doté d’une biographie bien originale, qui cite tous les petits boulots de Lemoine: «typographe, démarcheur d’assurances au porte-à-porte, distributeur de prospectus, vendeur de (très peu de) machines à écrire, représentant de commerce (particulièrement non doué), homme de ménage dans un Prisunic (technicien de surface, selon l’actuelle dénomination), employé de bureau, veilleur de nuit dans un Club Méditerranée, chauffeur de camion, opérateur-pupitreur, ingénieur commercial, homme de piste à l’aéroport d’Orly, etc. Il a également vécu un an et demi en brousse, au Gabon, comme « Volontaire du progrès » (ce qui lui a laissé entrevoir l’existence de la Françafrique) et un an dans un kibboutz».
Sans aucun doute, Lemoine est de gauche, mais n’est pas un gauchiste. Admettant un penchant plutôt réac à ses débuts, choisissant les paras pour son service militaire, il découvre le socialisme dans les kibboutzim israéliens. Lui, le journaliste ayant vécu tout jeune dans un taudis francilien avec sa mère seule, confie se sentir de plus en plus en phase avec la lutte contre la pauvreté extrême et les inégalités après la période néo-libérale début années 80 jusqu’à la fin des années 90, en Amérique du Sud.
Petit clin d’œil à ses années «para», il s’y retrouve au contact des révolutionnaires sandinistes, les guérillas marxistes des FARC ainsi que le colonel Chavez au Venezuela… Plutôt paradoxal pour un homme de gauche. Cette voix dissonante dans le paysage médiatique s’entend parfois sur Sputnik où il nous a accordé plusieurs interviews, mais aussi dans Le Média et évidemment au Monde Diplomatique, où il est resté une trentaine d’années, après avoir été son rédacteur en chef. Ses sympathies politiques trahies? On trouve sur sa cheminée, une bouteille de vin rouge à l’étiquette «la France Insoumise».
Il l’explique d’ailleurs, c’est parce que Jean-Luc Mélenchon a affiché son soutien à Chavez puis à Nicolas Maduro et a plaidé dans son programme présidentiel de 2017 pour l’intégration de la France dans l’Alliance bolivarienne, que le traitement médiatique sur le Venezuela est si étrange et si politiquement orienté. Selon Maurice Lemoine, si le candidat de la France Insoumise avait soutenu un chef d’État africain, ce dirigeant africain aurait subi un traitement médiatique similaire.
«Je suis en colère contre ma profession». Pour lui, les journalistes français qui se rendent au Venezuela ne font pas leur boulot ou qu’en partie, en ne parlant qu’à l’opposition. Il dénonce ainsi une forme d’entre-soi, où les journalistes embourgeoisés français vont à la rencontre de leurs semblables vénézuéliens, les couches aisées de la population. Refusant néanmoins la posture du donneur de leçons, Lemoine parle sans cesse du devoir pour le journaliste de contextualiser l’information, de chercher à comprendre les mœurs, l’histoire et la culture locales. Et ce dernier de citer les brutalités et les meurtres dans chaque camp.
Plus grave, ces mêmes journalistes sont régulièrement confrontés à des pressions de la part de leurs rédactions parisiennes, sans doute pas encore prêtes à nuancer le discours selon lequel le Venezuela deviendrait une dictature sanglante. Dans les années 80, Maurice Lemoine révèle avoir subi cette forme de censure, lorsqu’une grande maison d’édition avait annulé une commande d’un ouvrage écrit sur les guérilleros sandinistes, sous le prétexte qu’il donnait trop la parole aux rebelles.
Il cite en modèle un autre journaliste, Roméo Langlois, de France 24, qui couvrait le conflit en Colombie et qui s’était fait kidnapper en 2012 par les FARC. Otage durant un mois, il est libéré et publie sur le sujet un reportage nuancé qui lui vaut le Prix Albert Londres, mais également des accusations de syndrome de Stockholm et des pressions des autorités colombiennes. Le visage marqué et buriné par l’aventure, Lemoine admet que les FARC ont commis des crimes et ont violé le droit humanitaire international. Il réfute pourtant le terme de narcoguérilla souvent utilisé pour les discréditer, affirmant seulement qu’ils ont profité du trafic de cocaïne comme tout le monde. Très loin du marxisme-léninisme des origines, la transformation des FARC en un parti politique pourrait les amener au pouvoir à long terme, selon lui.
Pour la gauche française depuis Jospin, entendre par là le courant social-démocrate, il s’agit de punir Chavez pour son anti-impérialisme et son refus du néo-libéralisme. Même auprès de ses amis idéologiques habituellement moins contempteurs du Venezuela, Maurice Lemoine admet que ses positions sur le Venezuela sont compliquées à assumer et qu’il doit sans cesse se justifier. Pour lui, il s’agit d’une lutte de classes, entre les deux catégories sociales au sein même du Venezuela, les bourgeois qui sont acquis à l’opposition de droite et d’extrême droite et les plus pauvres, ceux qui ont surtout bénéficié des réformes de Chavez et qui maintiennent leur confiance en Maduro.
Hugo Chavez? «Un homme politique hors du commun»; «il y en a un par siècle». On le sent habité par l’ancien leader populiste qu’il a rencontré à plusieurs reprises. N’avait-il pas une fibre gaulliste? Tout à fait, répond-il, par son côté grand homme, militaire, et son charisme, Hugo Chavez peut être comparé à Charles de Gaulle, à qui on ajouterait une dose de Front populaire. Il rappelle les acquis sociaux considérables durant sa présidence, le pays passant de 60 à 20% de pauvres. Seulement voilà, la révolution bolivarienne a perdu son grand homme et la crise économique, sociale et politique perdure.
Alors que les prix du pétrole sont remontés et qu’une économie dépendante des hydrocarbures telle que la Russie ait affiché une croissance de 1,5% en 2017, pourquoi le Venezuela, économie subventionnée par la manne pétrolière, subit-il toujours la crise? Question centrale pour Maurice Lemoine et qui détermine les soubresauts vécus à Caracas. Il existe «une agression réelle contre le Venezuela qui est multiforme», déstabilisé à l’intérieur par son opposition antidémocratique et à l’extérieur par les États-Unis. Et il ajoute que les graves pénuries que l’on relate dans les médias sont organisées et préméditées: «les réseaux de distribution sont sabotés avec pour objectif de provoquer une révolte sociale».
Dans cette «guerre psychologique», les États-Unis de Donald Trump peuvent-ils intervenir pour destituer Maduro? Trop compliqué, selon Maurice Lemoine, car cela réunirait la population vénézuélienne et avec elle, l’opinion latino-américaine derrière le successeur de Chavez. Pourtant l’option des couloirs humanitaires entre la Colombie et le Venezuela est régulièrement mise en avant. C’est pourquoi «il faut défendre le Venezuela contre l’agression impérialiste».
Plus de temps à perdre, l’ancien journaliste a son cours de Karaté dans le centre de Paris. Une heure d’entretien d’une rare qualité dont le meilleur est à retrouver dans la vidéo en tête d’article.
Source : https://fr.sputniknews.com/france/201804181036010422-maurice-lemoine-journaliste/
Pourquoi ce portrait? Parce que le personnage détonne dans le milieu journalistique français, présenté, à tort ou à raison, comme moutonnier, cancanier, casanier et endogame. Non, Maurice Lemoine ne sort pas d’une école de journalisme, lui qui conseille aux jeunes pousses du métier d’engranger de l’expérience, les petits boulots, de découvrir la vie en somme, avant de devenir journaliste. Le personnage dérange aussi sur son aire de prédilection: l’Amérique latine. D’abord la Colombie et les FARC (Fuerzas armadas revolucionarias de Colombia), sur lesquelles il tient un discours nuancé puis surtout sur le Venezuela, Hugo Chavez et Nicolas Maduro, où il se situe radicalement à contre-courant du discours ambiant.
Comment catégoriser Maurice Lemoine? Son pied-à-terre aide à le cerner, un intérieur exotique, très coloré, entre les souvenirs de voyage d’un véritable globe-trotter (non à la manière d’un homo festivus) et une bibliothèque remplie de littérature révolutionnaire. Lui-même ne se dit même plus journaliste, mais témoin. Il a pourtant commencé au Monde Diplomatique en 1983 en couvrant d’abord les conflits en Amérique centrale, puis la Colombie et désormais le Venezuela.
Sa jeunesse et sa période pré-Amérique latine peuvent être ainsi décrites comme… mouvementées. Le média Le Grand Soir publiait d’ailleurs en 2013 une recension d’un de ses ouvrages, doté d’une biographie bien originale, qui cite tous les petits boulots de Lemoine: «typographe, démarcheur d’assurances au porte-à-porte, distributeur de prospectus, vendeur de (très peu de) machines à écrire, représentant de commerce (particulièrement non doué), homme de ménage dans un Prisunic (technicien de surface, selon l’actuelle dénomination), employé de bureau, veilleur de nuit dans un Club Méditerranée, chauffeur de camion, opérateur-pupitreur, ingénieur commercial, homme de piste à l’aéroport d’Orly, etc. Il a également vécu un an et demi en brousse, au Gabon, comme « Volontaire du progrès » (ce qui lui a laissé entrevoir l’existence de la Françafrique) et un an dans un kibboutz».
Sans aucun doute, Lemoine est de gauche, mais n’est pas un gauchiste. Admettant un penchant plutôt réac à ses débuts, choisissant les paras pour son service militaire, il découvre le socialisme dans les kibboutzim israéliens. Lui, le journaliste ayant vécu tout jeune dans un taudis francilien avec sa mère seule, confie se sentir de plus en plus en phase avec la lutte contre la pauvreté extrême et les inégalités après la période néo-libérale début années 80 jusqu’à la fin des années 90, en Amérique du Sud.
Petit clin d’œil à ses années «para», il s’y retrouve au contact des révolutionnaires sandinistes, les guérillas marxistes des FARC ainsi que le colonel Chavez au Venezuela… Plutôt paradoxal pour un homme de gauche. Cette voix dissonante dans le paysage médiatique s’entend parfois sur Sputnik où il nous a accordé plusieurs interviews, mais aussi dans Le Média et évidemment au Monde Diplomatique, où il est resté une trentaine d’années, après avoir été son rédacteur en chef. Ses sympathies politiques trahies? On trouve sur sa cheminée, une bouteille de vin rouge à l’étiquette «la France Insoumise».
Il l’explique d’ailleurs, c’est parce que Jean-Luc Mélenchon a affiché son soutien à Chavez puis à Nicolas Maduro et a plaidé dans son programme présidentiel de 2017 pour l’intégration de la France dans l’Alliance bolivarienne, que le traitement médiatique sur le Venezuela est si étrange et si politiquement orienté. Selon Maurice Lemoine, si le candidat de la France Insoumise avait soutenu un chef d’État africain, ce dirigeant africain aurait subi un traitement médiatique similaire.
«Je suis en colère contre ma profession». Pour lui, les journalistes français qui se rendent au Venezuela ne font pas leur boulot ou qu’en partie, en ne parlant qu’à l’opposition. Il dénonce ainsi une forme d’entre-soi, où les journalistes embourgeoisés français vont à la rencontre de leurs semblables vénézuéliens, les couches aisées de la population. Refusant néanmoins la posture du donneur de leçons, Lemoine parle sans cesse du devoir pour le journaliste de contextualiser l’information, de chercher à comprendre les mœurs, l’histoire et la culture locales. Et ce dernier de citer les brutalités et les meurtres dans chaque camp.
Plus grave, ces mêmes journalistes sont régulièrement confrontés à des pressions de la part de leurs rédactions parisiennes, sans doute pas encore prêtes à nuancer le discours selon lequel le Venezuela deviendrait une dictature sanglante. Dans les années 80, Maurice Lemoine révèle avoir subi cette forme de censure, lorsqu’une grande maison d’édition avait annulé une commande d’un ouvrage écrit sur les guérilleros sandinistes, sous le prétexte qu’il donnait trop la parole aux rebelles.
Il cite en modèle un autre journaliste, Roméo Langlois, de France 24, qui couvrait le conflit en Colombie et qui s’était fait kidnapper en 2012 par les FARC. Otage durant un mois, il est libéré et publie sur le sujet un reportage nuancé qui lui vaut le Prix Albert Londres, mais également des accusations de syndrome de Stockholm et des pressions des autorités colombiennes. Le visage marqué et buriné par l’aventure, Lemoine admet que les FARC ont commis des crimes et ont violé le droit humanitaire international. Il réfute pourtant le terme de narcoguérilla souvent utilisé pour les discréditer, affirmant seulement qu’ils ont profité du trafic de cocaïne comme tout le monde. Très loin du marxisme-léninisme des origines, la transformation des FARC en un parti politique pourrait les amener au pouvoir à long terme, selon lui.
Pour la gauche française depuis Jospin, entendre par là le courant social-démocrate, il s’agit de punir Chavez pour son anti-impérialisme et son refus du néo-libéralisme. Même auprès de ses amis idéologiques habituellement moins contempteurs du Venezuela, Maurice Lemoine admet que ses positions sur le Venezuela sont compliquées à assumer et qu’il doit sans cesse se justifier. Pour lui, il s’agit d’une lutte de classes, entre les deux catégories sociales au sein même du Venezuela, les bourgeois qui sont acquis à l’opposition de droite et d’extrême droite et les plus pauvres, ceux qui ont surtout bénéficié des réformes de Chavez et qui maintiennent leur confiance en Maduro.
Hugo Chavez? «Un homme politique hors du commun»; «il y en a un par siècle». On le sent habité par l’ancien leader populiste qu’il a rencontré à plusieurs reprises. N’avait-il pas une fibre gaulliste? Tout à fait, répond-il, par son côté grand homme, militaire, et son charisme, Hugo Chavez peut être comparé à Charles de Gaulle, à qui on ajouterait une dose de Front populaire. Il rappelle les acquis sociaux considérables durant sa présidence, le pays passant de 60 à 20% de pauvres. Seulement voilà, la révolution bolivarienne a perdu son grand homme et la crise économique, sociale et politique perdure.
Alors que les prix du pétrole sont remontés et qu’une économie dépendante des hydrocarbures telle que la Russie ait affiché une croissance de 1,5% en 2017, pourquoi le Venezuela, économie subventionnée par la manne pétrolière, subit-il toujours la crise? Question centrale pour Maurice Lemoine et qui détermine les soubresauts vécus à Caracas. Il existe «une agression réelle contre le Venezuela qui est multiforme», déstabilisé à l’intérieur par son opposition antidémocratique et à l’extérieur par les États-Unis. Et il ajoute que les graves pénuries que l’on relate dans les médias sont organisées et préméditées: «les réseaux de distribution sont sabotés avec pour objectif de provoquer une révolte sociale».
Dans cette «guerre psychologique», les États-Unis de Donald Trump peuvent-ils intervenir pour destituer Maduro? Trop compliqué, selon Maurice Lemoine, car cela réunirait la population vénézuélienne et avec elle, l’opinion latino-américaine derrière le successeur de Chavez. Pourtant l’option des couloirs humanitaires entre la Colombie et le Venezuela est régulièrement mise en avant. C’est pourquoi «il faut défendre le Venezuela contre l’agression impérialiste».
Plus de temps à perdre, l’ancien journaliste a son cours de Karaté dans le centre de Paris. Une heure d’entretien d’une rare qualité dont le meilleur est à retrouver dans la vidéo en tête d’article.
Source : https://fr.sputniknews.com/france/201804181036010422-maurice-lemoine-journaliste/