Par Marco Teruggi depuis Caracas
Le
30 janvier 2019 a confirmé le caractère inédit du champ où se trouve le
Venezuela: une nuée de caméras du monde entier à la recherche du
“président de transition Guaidó” dans une ville qui aurait dû déborder
de sympathisants pour voir exaucé leur désir de voir le “nouveau
président” se trouver là où il devrait être, c’est-à-dire au Palais
Présidentiel de Miraflores. La réalité, une fois de plus, a déconcerté
ceux qui y croyaient: quelques poignées – littéralement – de manifestants circonscrits aux quartiers riches
et une courte apparition de Guaidó entouré d’une cinquantaine de
personnes, à l’Hôpital de l’Université Centrale, entouré par un peu
moins d’une centaine d’étudiants et de professeurs en médecine, vieux
antagonistes des politiques de santé gratuite pour la majorité sociale. Les journalistes des grands médias se regardaient sans comprendre. (1)
Tout ça pour ça ? Les médias ont dû se contenter de quelques plans serrés.
Après quoi Guaidó a écrit sur son compte Twitter: “Aujourd’hui
#30Janvier, nous, vénézuéliens, sommes sortis à nouveau pour élever
notre voix, nous retrouver dans la rue et démontrer que nous pouvons
changer le pays”. Un peu plus tôt il avait remercié pour son appel téléphonique Donald Trump lequel à son tour avait twitté pour célébrer “la mobilisation massive”.
La
distance entre la construction internationale des médias, des réseaux
sociaux, et ce qui se vit dans le pays, est immense. Il ne se passe pas
ce qui devrait se passer une semaine après l’autoproclamation. Guaidó
n’a pas de territoire, ni de reconnaissance interne, ne commande à
personne, n’éveille pas l’appui qu’il devrait éveiller, se retrouve plus
proche du ridicule que du pouvoir. L’expression vénézuélienne la plus
exacte pour le qualifier serait “pote de humo”, “boîte à fumée”.
Ce
même 30 janvier, le Parlement Européen a avancé dans son refus de
reconnaître Nicolás Maduro, en affirmant à travers Antonio Tajani, que
Guaidó est devenu “le seul interlocuteur”, et qu’à partir
d’aujourd’hui il serait reconnu comme président. De concert, les salons
diplomatiques ont poursuivi leur courbe putschiste, avec la réunion de
Julio Borges, député qui a fui la justice, et plusieurs sénateurs
états-uniens. Borges assumera la représentation du “gouvernement de
Guaidó” auprès du Groupe de Lima (gouvernements néo-libéraux latino-américains).
Le
contresens devient évident. Toute personne honnête et dotée de sens
commun qui parcourt Caracas se rend compte que le Venezuela n’est un
pays en faillite où une partie de la population aurait décidé de se
donner un nouveau président, et que ce “nouveau gouvernement” n’a pas de
réalité sur place.
Ce
hiatus révèle deux points centraux. En premier lieu, il corrobore que
la construction de Guaidó a été conçue dès le début depuis l’extérieur à
travers une puissante opération communicationnelle et politique. Il ne
faut pas chercher pour l’heure de réponses sur le plan national pour
comprendre ce qui peut venir. Les maigres annonces qu’a faites Guaidó
sont destinées à l’international: nommer des représentants dans
différents pays, recevoir des appels depuis les Etats-Unis, annoncer
qu’on se prépare à recevoir leur aide humanitaire.
Cela
signifie que le plan et les hypothèses doivent être recherchés dans les
couloirs de la Maison Blanche. Chaque jour vient renforcer cette thèse.
La décision et le schéma se trouvent à l’extérieur. Comment la droite
en est-elle arrivée là ? Il faudrait mener une analyse sur les dernières
années, l’accumulation d’échecs politiques et les matrices
politico-culturelles issues de décennies et de siècles. Il faudrait
aussi analyser la politique actuelle des Etats-Unis vis-à-vis de
l’Amérique Latine, sa nécessité de construire un contrôle sans failles
avec des gouvernements comme celui de Mauricio Macri ou d’Iván Duque en
Colombie, dans un contexte de batailles géopolitiques corrélées dans le
continent dans le champ des investissements.
Par
ailleurs le contexte national se caractérise par une haute instabilité.
Le calme revenu depuis le 23 janvier ne signifie pas que la droite ne
peut pas relancer une série d’actions. Le plus probable est qu’elle le
fera quand l’ordre arrivera. Cela se produirait sous deux dimensions.
La
première se nouerait à travers sa base sociale la plus active, avec
laquelle la droite a scellé un pacte dangereux: elle ne réussit à la
convoquer que pour des actions visant à chasser Nicolás Maduro du Palais
présidentiel. Ses autres activités politiques génèrent des sifflets,
des refus, un manque de participation d’une base déçue par ses leaders.
Cette base d’appui ne répond plus qu’aux appels au coup d’Etat. Elle le
sait et c’est une partie de la négociation que mène Guaido en fonction
de l’attente qu’il a créée et des logiques construites lors des
tentatives de coup d’Etat antérieures (2002, 2014, 2017..)
La
deuxième impliquerait d’activer des groupes armés dans les quartiers
populaires. Selon les enquêtes réalisées à l’intérieur de ces
territoires et selon les sources officielles, le prix par personne et
par nuit pour sortir et monter un foyer de violence, est de 30 dollars.
Cela, dans les zones où on cherche à générer un appui populaire, un
soulèvement qui jusqu’à présent ne s’est produit nulle part, afin
d’exploiter les images instantanément et intensément à travers les
réseaux sociaux. Un foyer de violence furtif et converti en tendance sur
Twitter possède un haut impact sur la base sociale que cherche à
convoquer Guaidó, lui-même co-organisateur des violences d’extrême
droite de 2017 caractérisées entre autres par les lynchages d’afrodescendants, brulés vifs.
Par
contre, dans d’autres territoires, où l’objectif a été d’affronter de
manière armée les forces de sécurité de l’Etat – avec grenades, armes
courtes et longues – le prix fut environ de 50 mille dollars, à répartir
ensuite au sein de la bande sous contrat.
Ces
scénarios pourraient se reproduire au moment où la droite décide de les
réactiver – ce qui ne signifie pas qu’ils seraient couronnés de succès.
La violence fait partie intégralement du schéma de siège et d’assaut.
Pour comprendre comment elle est calibrée, il faut la corréler avec les
temps fixés pour atteindre l’objectif. Pour la droite le danger peut
être d’épuiser sa base sociale, ou le refroidissement pur et simple si
Guaidó persiste dans le manque de directives claires, dans
l’inconsistance et dans l’incapacité de dire quoi que ce soit.
La
position conjointe des gouvernements du Mexique et de l’Uruguay tranche
avec ce contexte: ils convoquent une réunion internationale le 7
février pour aborder le thème du Venezuela. Le dialogue semble être la
seule manière de désamorcer la tension explosive qui monte grâce à la
complicité active de gouvernements, des grands médias et de forces
souterraines. Sinon, quoi ? Maduro ne démissionnera pas. La guerre ouverte avec des mercenaires et paramilitaires ?
Ceux
qui mènent le conflit contre le Venezuela se rapprochent de limites
dangereuses. Guaidó, le premier président 2.0, une fiction réelle, ne
semble qu’un pion dans le schéma qui l’a placé à cet endroit.
Marco Teruggi, depuis Caracas
Note (1) : à noter que comme d’habitude depuis 20 ans
les grands médias ne montrent pas les manifestations chavistes,
d’ailleurs bien plus nombreuses que celles de l’opposition.
(Note de Venezuelainfos)
Traduction: Thierry Deronne
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