La crise politique au Venezuela
entre dans une phase à hauts risques. L’opposition soutenue par Donald
Trump tente de donner l’estocade au régime. Entretien avec Maurice
Lemoine, spécialiste de l’Amérique latine, ex-rédacteur en chef du Monde
Diplomatique.
L’armée risque-t-elle de basculer dans le camp du président autoproclamé ?
Maurice Lemoine : C’est
en effet une question cruciale. Comme on l’a vu au cours des semaines
et des mois précédents, l’un des objectifs de l’opposition et des
États-Unis est de provoquer ce basculement. Ils multiplient les appels
aux militaires pour qu’ils interviennent dans la crise, pour qu’ils
aident à renverser Maduro, y compris l’Assemblée nationale. Il est
important de rappeler que celle-ci est dans l’illégalité depuis janvier
2016. Elle a fait prêter serment à trois députés qui n’étaient pas élus.
Le fond du problème est un peu là aussi. Si l’Assemblée revenait sur
ces décisions, peut-être retrouverait-elle toutes ses prérogatives.
Cette même Assemblée a adopté, il y a quelques jours, une pseudo-loi
d’amnistie, clin d’œil aux militaires qui participeraient au
renversement de Nicolas Maduro. Seul problème, et pas des moindres, pour
Juan Guaido, président autoproclamé, l’armée annonce jusque-là qu’elle
respecte la Constitution et qu’à ses yeux il n’y a pas d’autre chef
d’État légitime que Nicolas Maduro. Cela n’exclut pas qu’il y ait, en
son sein, des comportements de dissidence, des groupuscules prêts à
passer à l’action. C’est le cas, notamment, d’une vingtaine de gardes
nationaux. Mais on ne constate pas de mouvement massif. L’armée reste
apparemment fidèle, pas forcément à Maduro, mais à la Constitution.
Alors que se passe-t-il ?
Maurice Lemoine : Il
y a une formule très simple qui peut résumer ce à quoi on assiste : un
coup d’État à mèche lente, une tentative disons, car cela n’a pas encore
réussi. À mèche lente parce que tout a commencé avec l’arrivée au
pouvoir de Nicolas Maduro en 2013. On est à présent dans une phase très
aiguë au cours de laquelle l’opposition, avec l’aide des États-Unis et
des pays de droite et d’extrême droite d’Amérique latine, tente de
porter l’estocade au chavisme.
Ils estiment que les conditions sont réunies ?
Maurice Lemoine : Disons
plutôt qu’ils espèrent que ces conditions soient réunies. Rappelons les
faits : l’opposition a délibérément rompu avec la voie démocratique.
Elle a refusé de participer à l’élection de l’Assemblée constituante, et
à l’élection présidentielle, alors même qu’elle réclamait depuis des
mois des élections anticipées. Dès lors, il ne lui reste à présent que
la voie de fait. Les choses sont claires depuis un certain temps. Sa
stratégie n’est plus de gagner le pouvoir par la voie démocratique à
l’intérieur du Venezuela. Du fait de ses erreurs objectives, elle a
perdu la partie. Elle entreprend désormais de travailler à partir de
l’extérieur ou à travers la formation d’un gouvernement parallèle.
L’autoproclamation de Juan Guaido comme président intérimaire de la
République suit la création, en exil – en Colombie –, d’un tribunal
suprême de justice parallèle, avec une procureure générale parallèle.
Nous sommes donc dans la suite logique de ce qui se passe maintenant
depuis un an et demi : l’appel à la « communauté internationale », cette
dernière étant, il faut le souligner, très divisée. Si l’on prend par
exemple l’Organisation des États américains, on se rend compte que
16 pays seulement sur 34 appuient le coup d’État.
Peut-on vraiment exclure la réussite de ce coup d’État ?
Maurice Lemoine :Je
suis très prudent. Jusqu’à présent, Nicolas Maduro a résisté de manière
assez extraordinaire compte tenu de l’ampleur de l’opération. Je crains
en revanche que cela débouche sur une crise d’une infinie gravité. Si
l’opposition réussissait, avec l’aide de Donald Trump, avec l’aide du
président d’extrême droite du Brésil, avec celui de la Colombie – il
faut le rappeler c’est très important –, à renverser Maduro, il y aura
alors un risque majeur d’aller vers une guerre civile, qui va
déstabiliser toute la région et en particulier le pays voisin, la
Colombie, dans lequel la période post-accord de paix avec les Farc se
passe très mal. Les chavistes n’accepteront jamais de voir leur
président renversé de façon non démocratique.
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