Publié par Venezuela infos dans égalité et justice sociale, Critique populaire, déstabilisation et violences de la droite, Guerre économique, mouvements sociaux, réforme agraire, souveraineté alimentaire, travailleurs ruraux
“Je crois dans les mots d’une paysanne et non dans celle d’un bureaucrate”. C’est en ces termes qu’en avril 2018 le président Maduro s’était prononcé en faveur de la lutte paysanne, dénonçant les expulsions et les arrestations d’agriculteurs qui tentaient de récupérer les terres de La Magdalena, dans l’état de Mérida.
Près d’un an plus tard, le Département de presse du mouvement social paysanCorriente Revolucionaria Bolívar y Zamora (CRBZ) s’est entretenu avec Heber Montilla, dirigeant paysan et coordinateur de ce mouvement dans la région du Sud du Lac de Maracaibo.
En quoi a changé la situation de la lutte pour la terre dans le Sud du Lac à partir de ce discours du président ?
Heber Montilla – La situation a beaucoup changé. Il y avait une grande attente, depuis l’arrivée de Maduro au gouvernement, de ce qu’il se prononce en faveur de la lutte paysanne comme le faisait le président Chávez, à travers les “Aló presidente”, quand il soutenait la lutte contre le “latifundio”. Avant que Maduro se prononce en faveur des paysans, il y avait des secteurs de la Garde Nationale Bolivarienne, du SEBIN, du CICPC, certains secteurs des forces publiques de l’Etat qui participaient dans des opérations de répression contre les paysans. Avec Maduro se prononcèrent aussi le Procureur Général de la République, le Tribunal Suprême de Justice, le Ministre de la Défense. Depuis, les forces de sécurité de l’Etat ne se sont plus jointes à ces situations d’agression mais les grands propriétaires, les latifundistes, ne pouvant plus compter sur ce soutien des forces publiques, ont commencé à contracter des groupes armés, des tueurs à gage. Ont continué les menaces et la violence sur les familles paysannes.
Cette action combinée de violence et de fonctionnaires corrompus sont le modus operandi des mafias agraires. Qui compose ces mafias ?
Nous n’avons pas affaire à un éleveur isolé qui engage une personne. C’est un réseau qui opère sur les différentes terres en cours de récupération. Le composent les tribunaux, juges, policiers, certains fonctionnaires de l’Institut National des Terres (INTI) national et régional. Les éleveurs sont ceux qui contractent, payent et organise ces mafias. Ils paient en dollars. D’ailleurs ces mafias ont tenté d’acheter des dirigeants paysans. Ils offraient jusqu’à 10 mille dollars, des fourgonnettes, des voitures, des plantations, pour que ces dirigeants abandonnent la lutte ou la freinent. Il y a certains secteurs paysans qui se sont soumis à ces mafias. Quand de supposés dirigeants paysans se prononcent en faveur des soi-disants propriétaires, dans les médias, dans les réseaux sociaux, il agissent pour ces mafias. Dans la guerre contre le “latifundio” il y a deux acteurs. Le(a) paysan et la paysan(ne), d’une part, et les grands propriétaires d’autre part.
Ceux-ci sont organisés, s’articulent, font des plans. Ils utilisent les mêmes méthodes dans les différentes propriétés. Par exemplo, la juge Carmen Rosales n’agit pas pour un seul terrain mais agit sur plusieurs cas où les paysans récupèrent des terres. Ses sentences tombent toujours en faveur des soi-disant propriétaires. Elle est une des pièces de ces mafias. Quand commencent les récupérations de terres de la part de l’Institut National des Terres, elle intervient en prenant des mesures de protection de la production (alors qu’elle est inexistante) des grands “propriétaires”, sans même se rendre sur place pour inspecter les terres. Simplement, au greffe des tribunaux, elle signe les mesures de protection du bétail du grand propriétaire. Mais quand les paysans vont demander la protection de leurs semailles, se basant sur la symétrie des droits, alors, là, elle refuse, ça n’existe pas. Son argument est qu’il n’existe pas de documentation sur ces terres. Mais la Loi des Terres dit que ce qui est déterminant, c’est la production, parce que la propriété des terres n’est pas celle des soi-disants propriétaires, mais celle de l’Etat.
Dans le cas de Montecarlo, ces mafias ont remis à la soi-disant propriétaire une lettre attestant de l’activité productive dans la plantation, à travers l’INTI et à travers le tribunal agraire. Ignorant la situation des 84 familles qui vivent et sèment ces terres. Cette soi-disant propriétaire bénéficie de ces deux protections institutionnelles, alors que sa “plantation” est totalement improductive. Ce qui est en production, ce sont les terres que cultivent les paysans, soit 75% de la surface. Cette soi-disant propriétaire a tenté d’acheter les dirigeants paysans mais elle n’a pas réussi, par contre elle a pu le faire pour le tribunal agraire et l’INTI. Il n’y a aucune base légale pour lui remettre un certificat de productivité.
Voilà la contradiction. Les mafias agraires utilisent une partie des institutions de l’Etat pour agir contre les paysans et éviter qu’ils accèdent à la terre.
Dans le cas des terres de Montecarlo on affirme que la communauté paysanne est entrée de fait et non de droit sur les terrains. Comment s’est produite cette situation ?
Parce que précisément dans cette lutte on retrouve la même situation. Quand la communauté paysanne voit un terrain improductif, elle le réclame à l’INTI et attend le délai pour que l’inspection soit menée en vertu de la loi. Mais, qu’est-ce qui se passe ? Ces mêmes mafias agraires, dès les réclamations, appellent les grands propriétaires pour les avertir de l’imminence d’une inspection. Et on donne 6 mois, un an, deux ans, au soi-disant propriétaire pour changer virtuellement la situation d’improductivité. A Montecarlo on a amené des machines après que l’INTI a passé l’information. Et on a mobilisé du bétail d’autres terres, pour pouvoir faire écran lors de l’inspection, mais pas pour mettre ces terres en production. Le bétail qu’on a amené avait des marques au fer différentes. Les fers de marquage sont enregistrés légalement pour identifier chaque élevage et chaque propriétaire. Si les inspecteurs examinaient ces marques il serait démontré qu’il s’agit du bétail d’une autre plantation mais cela n’est pas fait, c’est une partie du jeu de ces mafias.
La communauté paysanne dénonçait d’ailleurs que les machines travaillaient la nuit et l’empêchaient de dormir. Ils n’avaient que 37 têtes de bétail au moment de la réclamation. Après cela ils ont installé du bétail sans capacité d’alimentation, les prés n’étaient pas préparés, ils ont même coupé l’herbe pour qu’il ne puisse pas manger. Le bétail meurt et on rejette la faute sur les paysans. La soi-disant propriétaire, Vega Vega, porte plainte devant le tribunal agraire et la juge monte les dossiers contre le paysannat.
Face à cette situation les familles paysannes ont pris la décision d’occuper les terres et de les mettre en culture. Parce que si ces terres étaient productives, où est la production ?
Ces mafias parie sur l’échec de la révolution, elles ne produisent pas et après, elles disent que le gouvernement ne peut garantir la production agro-alimentaire dans le pays. Sur le plan national 25% des terres cultivables appartiennent aux paysans et les 75% restants sont aux mains des grands propriétaires. S’ils ont la grande majorité des terres, où est la production ? Celle qui arrive aux marchés de Caracas par exemple est une production paysanne. Ce sont nous, paysans et paysannes, qui avons maintenu contre vents et marées la production. Les grands propriétaires parient sur l’échec du gouvernement. La plupart du temps ils ne vivent même pas sur ces terres, mais dans les grandes villes ou hors du pays. C’est le paysan et la paysanne qui travaillent les terres.
Cette semaine est venue à Caracas une commission de paysan(ne)s de la CRBZ et du Front Paysan des Tupamaros, en provenance de la région du sud du lac de Maracaibo. Avec qui vous êtes vous réunis à Caracas et qu’est-ce qui a été abordé dans ces réunions ?
Nous nous sommes réunis avec l’INTI, avec le Défenseur du Peuple, et avec la viceprésidence. Parce que dans le sud du lac, il y a de mauvaises informations, ces mafias génèrent de fausses informations, à travers des fonctionnaires locaux, pour menacer d’expulsions les paysans. Au vu de cette situation nous sommes venus à Caracas pour parler aux autorités nationales.
A l’INTI nous nous sommes d’abord réunis avec Alexis Fernández, gérant du secrétariat du bureau de la présidence. Nous lui avons parlé de la situation des certificats agraires des terres qui manquent encore, dans certains cas on a même organisé des remises de ces certificats aux paysans (comme il y a trois mois) mais ce fut plus pour la photo qu’autre chose. La Magdalena, El trébol, Vista Hermosa, El Carmen, Gavilanes, Montecarlo, el Zapotal. Seul El Carmen a reçu le titre de propriété, à El Trébol vient d’arriver la nouvelle du début de la récupération des terres. A la Magdalena, qui fut la terre où eurent lieu les arrestations critiquées par Maduro, on n’a pas encore remis l’adjudication. A Gavilanes on a déjà organisé deux activités politiques de remises des titres mais le document n’est pas encore arrivé.
Dans chacun de ces terrains se trouvent les Conseils Paysans qui travaillent et produisent. Nous sommes venus parler de ce thème parce que même quand l’Etat décide de remettre les terres aux paysans, ces mafias agraires ne permettent pas qu’elles se réalisent effectivement sur place.
A la viceprésidence nous avons parlé avec Maité García sur le supposé ordre d’expulsion des terres de Montecarlo. La propriétaire en charge de ces terres, Marlin Sosa, nous a dit qu’elle a participé aux réunions techniques que dirige la viceprésidence et que là s’est décidé l’expulsion des paysans. La compagne Maite nous a assuré qu’à aucun moment l’expulsion à Montecarlo n’avait été évoquée. A partir des réunions techniques, on a décidé de mener une inspection de terrain, qui n’a jamais été faite, car les inspecteurs n’ont été visiter que le terrain de la soi-disant propriétaire mais pas les terres semées par la communauté paysanne. L’inspection qu’avait décidée la vice-présidence depuis Caracas envisageait même de compter combien de plants avaient semés les paysan(ne)s, chose qui ne s’est jamais faite.
Au Défenseur du Peuple nous avons expliqué la situation de harcèlement judiciaire contre les compagnes et compagnons. On fabrique des dossiers pour menacer d’emprisonnement les dirigeant(e)s. Le juge Jesús Ojeda et la juge Carmen Rosales sont les auteurs de ces manoeuvres d’intimidation.
Comment continue la lutte pour la terre dans les différents terrains ?
La situation est la même partout. Les mafias agraires opèrent de la même manière sur les différents terrains. Ils menacent, montent des dossiers, nous empêchent de semer, il y a des silences de l’administration, les dossiers de récupération des terres sont retardés. L’objectif est que le paysan se lasse et abandonne la lutte.
Pour notre part l’idée est de continuer à produire. C’est une nécessité. Produire est une nécessité pour survivre. Le paysan sème et produit, sinon sa famille n’a pas de quoi manger. Nous ne pouvons pas attendre un ou deux ans pour obtenir une réponse sur les récupérations des terres. Avec tous ces risques et toutes ces menaces qui pèsent sur nous, nous continuerons à produire, malgré tout. Eux font partie de ceux qui mènent la guerre économique contre le pays. Nous n’allons pas laisser détruire cette révolution. Nous allons chercher les alternatives. Et l’alternative est de chercher les terres pour produire et maintenir nos familles. C’est ce que doivent comprendre les différents fonctionnaires. Le paysan n’a pas le choix: ou il produit ou il meurt de faim. Ou il produit ou il rejoint les rangs de la droite. L’Etat, comme gouvernement révolutionnaire, devrait appuyer les paysans dans cette bataille.
Photos: Carolina Cruz / Presse CRBZ
Traduction: Thierry Deronne
URL de cet article: https://wp.me/p2ahp2-4Sc