Le 8 novembre, l'agence de notation
Standard and Poor's a abaissé la note de la France de AA+ à AA. Pour le
prix Nobel d'économie Paul Krugman, cet abaissement est totalement
injustifié et ne vise qu'à sanctionner la France pour son refus de
foncer tête baissée vers l'ultralibéralisme.
- The New York Times
- | Paul Krugman
- 10 novembre 2013
Dessin de Tiounine paru dans Kommersant, Moscou.
Alors comme ça, Standard & Poor's a dégradé la note de la France. Cela a-t-il un sens ?
La réponse est : pas vraiment,
en ce qui concerne la France. Nous ne saurions trop insister sur le fait que
les agences de notation ne disposent d'aucune - je dis bien d'aucune - information
particulière sur la solvabilité des Etats, surtout de grands pays comme la
France. S&P est-il intimement au fait de la situation des finances
françaises ? Non. Son modèle macroéconomique est-il supérieur à, disons,
celui du FMI - ou de tous les hommes et femmes assis autour de moi dans cette
salle de conférence du FMI ? Vous plaisantez !
Alors, que-ce que ça veut dire ? Je crois utile de comparer les projections du FMI pour la France avec celles effectuées pour un autre pays, lequel n'a eu droit qu'à des gentillesses de la part des agences de notation ces derniers temps : le Royaume-Uni. Les tableaux ci-dessous proviennent de la base de données du Forum économique mondial - des chiffres réels jusqu'en 2012, et des projections du FMI jusqu'en 2018.
Commençons par le PIB réel par habitant :
PIB par habitant, 2007 = 100
France Royaume-Uni
Donc, la France s'en est mieux tirée que le Royaume-Uni jusqu'à maintenant, et le FMI s'attend à ce que cette tendance se maintienne.
Ensuite, la dette par rapport au PIB :
La dette en % du PIB
France Royaume-Uni
La France est légèrement moins endettée, et le FMI prévoit que l'écart se creuse un peu plus.
Dans ce cas, pourquoi la note de la France se trouve-t-elle dégradée ? Parce que, nous dit S&P, elle n'a pas mis en œuvre les réformes qui permettraient de renforcer ses perspectives de croissance à moyen terme. Ce qui veut dire ?
Allez, je vous livre un vilain petit secret de plus. Que savons-nous vraiment des réformes économiques qui engendreront la croissance, et du volume de la croissance en question ? La réponse est : pas grand-chose ! Des gens, dans des institutions comme la Commission européenne, parlent avec beaucoup d'assurance de réformes structurelles et des merveilles qu'elles accomplissent, mais les indices à l'appui de cette assurance sont bien maigres. Quelqu'un sait-il vraiment que la politique d'Hollande entraînera une croissance inférieure de x,x %, ou plus vraisemblablement de 0,x % à ce qu'elle serait si Olli Rehn était aux commandes ? Non.
Donc, une fois encore, quelle est la raison de cette décision ?
Je suis désolé, mais je pense que quand l'agence S&P se plaint de l'absence de réformes, ce qu'elle dénonce en réalité, c'est le fait que le président français augmente la fiscalité sur les riches, au lieu de l'alléger, et que plus généralement, il ne se montre pas assez orienté vers l'économie de marché pour plaire à la bande de Davos. N'oubliez pas qu'il y a quelques mois, Olli Rehn n'avait eu que mépris pour la sobriété fiscale de la France - une sobriété exemplaire, pour tout dire - parce que les Français, quel scandale, augmentaient les impôts au lieu de tailler dans le vif du système social.
Ainsi, de même que la course à l'austérité n'a en fait rien à voir avec la responsabilité fiscale, l'incitation à une "réforme structurelle" n'a qu'un rapport très éloigné avec la croissance. Dans un cas comme dans l'autre, l'objectif est surtout de démanteler l'Etat-providence.
Peut-être S&P n'est-il pas pleinement conscient de jouer ce jeu-là. Quand on navigue dans ces cercles, les choses que personne ne sait en réalité finissent par se transformer en ce que tout le monde sait. Mais ne considérez pas cette dégradation comme la preuve qu'il y a vraiment quelque chose de pourri dans la situation de la France. Il s'agit bien plus d'idéologie que d'une analyse économique solide.
Publié le 8 novembre
Alors, que-ce que ça veut dire ? Je crois utile de comparer les projections du FMI pour la France avec celles effectuées pour un autre pays, lequel n'a eu droit qu'à des gentillesses de la part des agences de notation ces derniers temps : le Royaume-Uni. Les tableaux ci-dessous proviennent de la base de données du Forum économique mondial - des chiffres réels jusqu'en 2012, et des projections du FMI jusqu'en 2018.
Commençons par le PIB réel par habitant :
PIB par habitant, 2007 = 100
France Royaume-Uni
Donc, la France s'en est mieux tirée que le Royaume-Uni jusqu'à maintenant, et le FMI s'attend à ce que cette tendance se maintienne.
Ensuite, la dette par rapport au PIB :
La dette en % du PIB
France Royaume-Uni
La France est légèrement moins endettée, et le FMI prévoit que l'écart se creuse un peu plus.
Dans ce cas, pourquoi la note de la France se trouve-t-elle dégradée ? Parce que, nous dit S&P, elle n'a pas mis en œuvre les réformes qui permettraient de renforcer ses perspectives de croissance à moyen terme. Ce qui veut dire ?
Allez, je vous livre un vilain petit secret de plus. Que savons-nous vraiment des réformes économiques qui engendreront la croissance, et du volume de la croissance en question ? La réponse est : pas grand-chose ! Des gens, dans des institutions comme la Commission européenne, parlent avec beaucoup d'assurance de réformes structurelles et des merveilles qu'elles accomplissent, mais les indices à l'appui de cette assurance sont bien maigres. Quelqu'un sait-il vraiment que la politique d'Hollande entraînera une croissance inférieure de x,x %, ou plus vraisemblablement de 0,x % à ce qu'elle serait si Olli Rehn était aux commandes ? Non.
Donc, une fois encore, quelle est la raison de cette décision ?
Je suis désolé, mais je pense que quand l'agence S&P se plaint de l'absence de réformes, ce qu'elle dénonce en réalité, c'est le fait que le président français augmente la fiscalité sur les riches, au lieu de l'alléger, et que plus généralement, il ne se montre pas assez orienté vers l'économie de marché pour plaire à la bande de Davos. N'oubliez pas qu'il y a quelques mois, Olli Rehn n'avait eu que mépris pour la sobriété fiscale de la France - une sobriété exemplaire, pour tout dire - parce que les Français, quel scandale, augmentaient les impôts au lieu de tailler dans le vif du système social.
Ainsi, de même que la course à l'austérité n'a en fait rien à voir avec la responsabilité fiscale, l'incitation à une "réforme structurelle" n'a qu'un rapport très éloigné avec la croissance. Dans un cas comme dans l'autre, l'objectif est surtout de démanteler l'Etat-providence.
Peut-être S&P n'est-il pas pleinement conscient de jouer ce jeu-là. Quand on navigue dans ces cercles, les choses que personne ne sait en réalité finissent par se transformer en ce que tout le monde sait. Mais ne considérez pas cette dégradation comme la preuve qu'il y a vraiment quelque chose de pourri dans la situation de la France. Il s'agit bien plus d'idéologie que d'une analyse économique solide.
Publié le 8 novembre
- The New York Times
- | Paul Krugman