
« Tant d’élections… ce n’est pas de la liberté, c’est un excès de liberté » avait lancé il y a quelques années le président Lula à propos du Venezuela. Ce pays continue à battre le record mondial en quantité de scrutins puisqu’après l’élection de la Constituante de juillet 2017, et celle des gouverneurs le 15 octobre, viennent les municipales de décembre qui seront suivies en 2018, des présidentielles. Mais alors que l’élection de l’Assemblée nationale constituante en juillet dernier avait fait l’objet d’une intense couverture médiatique pendant plusieurs jours en France, les élections régionales qui se sont tenues la semaine dernière n’ont pas fait les gros titres de la presse hexagonale. Est-ce parce que l’opposition y a largement participé et que la campagne et les élections se sont déroulées dans le calme, la thèse de la « dictature chaviste » se voyant ainsi invalidée ? Ou bien est-ce parce que la victoire de la coalition au pouvoir contredit le récit médiatique majoritaire d’un peuple tout entier dressé contre Maduro ? Éléments de réponse.
A la surexposition médiatique, succède le strict minimum journalistique

L’instrumentalisation du Venezuela à des fins de politique intérieure était à son comble du Front national jusqu’à l’Elysée : il s’agissait de faire d’une pierre, deux coups en diabolisant le Venezuela bolivarien et la gauche de transformation sociale en France (FI, PCF). Un phénomène que l’on a pu observer également en Angleterre avec Corbyn, en Espagne avec Unidos-Podemos, etc. Il faut dire que la frange la plus radicale de la droite vénézuélienne avait alors renoué avec la stratégie insurrectionnelle des « guarimbas ». Une flambée de violence dont les médias, dans leur grande majorité, imputaient la responsabilité au gouvernement accusé d’organiser la répression contre ce qui était présenté comme une insurrection populaire. En réalité, une stratégie de violence d’extrême-droite qui n’avait rien de spontané et qui suscitait alors l’indulgence de la presse hexagonale comme nous l’avions illustré dans un précédent article à relire ici.
Nous pouvions donc raisonnablement nous attendre à ce que les médias de masse accordent au moins la même attention aux élections régionales au Venezuela. Un pays accusé d’être une dictature qui organise des élections régionales auxquelles l’opposition, dans son immense majorité, participe : en voilà un scénario qui aurait de quoi susciter l’intérêt d’éditorialistes et de journalistes si soucieux des droits de l’homme et de la démocratie. N’ont-ils pas à cœur de vérifier la validité de leurs thèses sur la dictature vénézuélienne et de répondre à ceux qui, « idéologiquement aveuglés », les contestent ? Où sont donc passés les Enthoven, Naulleau et autres chevaliers blancs du tweet ?
Une élection reléguée au second plan dans les médias français

Des
électeurs font la queue très tôt le matin pour aller voter à Petare,
l’un des plus grands « barrios » d’Amérique latine. AVN / Fausto
Torrealba

Cartographie
des résultats officiels publiés par le Conseil National Electoral (CNE)
: le PSUV et ses alliés réunis au sein du Gran Polo Patriotico (GPP)
remportent 18 Etats ; la coalition de droite (Mesa de Unidad Democratica
– MUD) en remporte 5. Source : site internet du PSUV
Les articles insistent presque tous sur le fait que la coalition d’opposition (MUD) conteste les résultats et ce, jusque dans leurs titres. Libération titre sur « la victoire et des soupçons pour Maduro ». Pour l’inénarrable Paulo Paranagua du Monde, « le pouvoir s’attribue la victoire aux élections régionales, l’opposition conteste ». Pour Courrier international, c’est une victoire écrasante mais contestée du parti au pouvoir. Même son de cloche pour LCI et ainsi de suite. Ce que ces articles taisent, c’est qu’en 18 ans de révolution bolivarienne, l’opposition a contesté tous les résultats des élections … qui lui étaient défavorables. A l’instar de Laidys Gomez, nouvelle gouverneure d’opposition de l’Etat du Táchira, qui s’était empressée de reconnaitre sa très large victoire face au gouverneur chaviste sortant pour ensuite contester les résultats dans le reste du pays. C’est « le folklore habituel destiné aux médias internationaux et aux chancelleries » juge, tranchant, Benito Perez dans les colonnes du quotidien suisse le Courrier (classé à la « gauche de la gauche »).

Florilège de titres que l’on pouvait lire dans la presse française au lendemain des élections.

Hector
Rodriguez Castro, l’une des figures montantes du PSUV (chaviste) en
pleine campagne à Petare. Il a été élu gouverneur de Miranda, le « joyau
de la couronne » qu’il a ravi à la droite. L’Etat était jusqu’ici
gouverné par l’opposant Henrique Capriles, candidat malheureux aux
élections présidentielles de 2012 face à Chavez et 2013 face à Maduro,
depuis déclaré inéligible par la justice vénézuélienne suite à des
pots-de-vin de la part d’Odbrecht. C’est notamment dans certaines riches
municipalités de Miranda dirigées par la droite comme Chacao que se
concentraient les « guarimbas ». FACEBOOK

Le
président Maduro reçoit trois des quatre gouverneurs d’Acción
Democratica (au centre) qui ont prêté serment devant l’Assemblée
Nationale Constituante (Etats d’Anzoátegui, Nueva Esparta et Mérida) au
Palais Miraflores, la résidence officielle de la présidence de la
République, le 24 octobre 2017, en présence du Vice-président Tareck El
Aissami (de dos à droite) et de la première dame Cilia Flores (à
gauche). TWITTER
Si dictature il y a, celle-ci n’aurait aucun intérêt à livrer à l’opposition des Etats aussi stratégiques que le Táchira, le Mérida ou le Zulia, principale zone pétrolière du pays, à la frontière avec la Colombie et ayant manifesté par le passé des velléités sécessionnistes comme le rappelle le journaliste indépendant Maurice Lemoine spécialiste de l’Amérique Latine et ancien rédacteur en chef du Monde diplomatique dans un article publié par Mémoire des Luttes. Juan Pablo Guanipa, élu gouverneur du Zulia est le seul nouvel élu à avoir refusé de prêter serment devant l’Assemblée Nationale Constituante (ANC) ; il n’a par conséquent pas pu prendre ses fonctions, contrairement à ses quatre autres collègues de l’opposition, et de nouvelles élections seront organisées en décembre. En tout cas, aucune remise en cause conséquente de l’opposition vénézuélienne, de sa stratégie et de sa rhétorique, malgré le désaveu électoral et les profondes divisions, ne semble vraiment à l’ordre du jour dans les salles de rédaction parisiennes.
Qu’est-ce que ce traitement médiatique en dents de scie révèle des relations que la presse française dominante entretient avec le Venezuela ? Loin de vouloir réellement informer sur la situation du pays caribéen, loin de se soucier des droits de l’homme et de la démocratie à Caracas, cette presse proclame inlassablement le mot d’ordre TINA (« There is no alternative – il n’y a pas d’alternative ») et fait le procès sous toutes les latitudes d’une gauche de transformation sociale un peu trop gesticulante à son goût. Toute information en provenance de Caracas qui ne donnerait pas de grain à moudre pas à ce discours ne sera pas mise en avant. C’est manifestement le cas des élections régionales. On préfèrera insister sur le fait que l’opposition conteste les résultats, en omettant qu’elle agit ainsi à chaque défaite électorale depuis 18 ans, plutôt que d’analyser les raisons d’un résultat favorable au chavisme malgré une profonde déstabilisation économique, sociale, politique et géopolitique depuis 3 ans. Et on préfèrera surtout vite passer à une autre « actualité ». Comme, par exemple, la décision du Parlement Européen dominé par la droite (PPE) et les sociaux-démocrates (S&D) de décerner le prix Sakharov à « l’opposition démocratique vénézuélienne » (1) en décembre.
Note : (1) Sur les violations des droits humains commises par cette opposition, on peut lire notamment « la rage raciste de l’extrême droite vénézuélienne » https://venezuelainfos.wordpress.com/2017/05/24/la-rage-raciste-de-lextreme-droite-venezuelienne/ et « Venezuela: la presse française lâchée par sa source ? » : https://venezuelainfos.wordpress.com/2015/08/04/venezuela-la-presse-francaise-lachee-par-sa-source/
Crédits photo :
Photo en couverture : REUTERS / Ricardo Moraes
https://www.lapatilla.com/site/2017/10/15/en-fotos-asi-se-llevan-a-cabo-las-elecciones-regionales-en-venezuela-este-15oct/
Capture : https://boutique.liberation.fr/products/samedi-12-et-13-aout-2017
http://www.resumenlatinoamericano.org/2017/10/15/en-venezuela-eleccionesfotos-electores-de-petare-acudieron-a-votar-desde-muy-temprano/
http://www.psuv.org.ve/temas/noticias/detalles-gobernaciones-revolucion-infografia-gppsb-psuv-cne-primer-boletin/#.WehVFzs6-M9
http://www.elciudadano.cl/entrevistas/el-dia-despues-de-las-elecciones-regionales-en-venezuela-debemos-destacar-la-voluntad-democratica-del-pueblo/10/16/
http://www.el-nacional.com/noticias/politica/las-imagenes-reunion-tres-gobernadores-adecos-con-maduro_209105
Source : « Le vent se lève », http://lvsl.fr/elections-regionales-venezuela-discretion-presse-francaise