Assiégé par des opérations psychologiques permanentes, et par une force militaire menant des exécutions extrajudiciaires contre des citoyens latino-américains dans les Caraïbes et le Pacifique, le Venezuela se prépare activement au pire des scénarios, sans pour autant renoncer à la normalité et à la joie de vivre qui le caractérisent.
Aujourd’hui, dans n’importe quelle ville vénézuélienne, on peut soudain voir défiler un convoi militaire transportant du matériel et des armes que l’on n’a l’habitude d’apercevoir que lors des grandes fêtes nationales comme le 24 juin ou le 5 juillet. Pourtant, ce qui retient le plus l’attention, ce ne sont ni les véhicules ni l’arsenal, mais les personnes qui les dirigent et les accompagnent : un mélange hétérogène de soldats et de civils. Il ne s’agit pas de la mobilisation classique de troupes professionnelles ou de conscrits que l’on voit habituellement lors des défilés militaires ou des manœuvres d’entraînement. Marchent côte à côte des officiers et militaires de carrière, des membres de la « milice » – civils ayant reçu une formation militaire – ainsi que des volontaires plus récents, beaucoup encore en tenue civile, qui font pour la première fois l’expérience de monter à bord d’un véhicule de combat ou d’un camion Beiben 6×6 de fabrication chinoise.
Alors qu’en Occident, les décisions militaires sont confinées à des cercles fermés sous commandement états-unien, le Venezuela mobilise un « peuple en armes » sur la base de l’éducation populaire, de la participation consciente, et volontaire. Face aux sous-traitances mercenaires de l’Occident, il possède l’avantage moral : la motivation interne d’être le peuple qui joua le rôle principal dans la libération de l’Amérique Latine face à l’impérialisme espagnol, grâce à Bolivar et à son armée d’ex-esclavisé(e)s. Étrange « dictature » que cette démocratie participative occultée par les médias parce qu’elle est un exemple dangereux pour des peuples désireux de s’émanciper. Où un gouvernement élu distribue massivement des armes aux citoyen(ne)s, ce que Salvador Allende n’avait pu faire. Où des milliers d’autogouvernements populaires ressuscitent les rêves assassinés des communard(e)s de tant d’époques et de pays.
L’union civico-militaire – équation politique créée par Hugo Chávez pour libérer son peuple de la domination des États-Unis et de l’oligarchie locale, rebaptisée par Nicolás Maduro « fusion populaire-militaire-policière » – attire d’autant plus le regard que l’on y retrouve de nombreux seniors et, surtout, des femmes de tous âges ayant relevé le défi de se préparer à une éventuelle agression militaire des États-Unis. Mais ce qui saute essentiellement aux yeux de l’observateur, c’est que ces convois traversent des villes qui, elles, restent résolument animées et normales.




Les vastes plans de contingence mis en œuvre dans le pays ne bouleversent pas la vie quotidienne d’un peuple qui résiste depuis plus de vingt ans à toutes sortes de tentatives de déstabilisation, de machinations et de complots. Dans ce pays que la CEPAL (ONU) désigne comme leader de la croissance du continent pour la quatrième année consécutive (avec 6% en 2025, alors que le Brésil et la Colombie stagnent à 2,5%), on continue à travailler, à étudier, sans renoncer non plus à la convivialité. Les lieux de loisirs, concerts, plages, parcs et places publiques restent bondés. L’esprit joyeux du peuple vénézuélien demeure intact. Si l’objectif derrière les exécutions extrajudiciaires en mer, les tactiques de siège et les opérations psychologiques, était de semer la panique et de provoquer des scènes d’émeutes dans les supermarchés, le plan a totalement échoué.
La nation est en alerte maximale, mais sans alarmisme. Certains estiment que c’est par manque de conscience de la gravité de la menace représentée par la première puissance militaire mondiale, celle-là même qui a détruit tant de nations, souvent sans aucun motif valable. D’autres, au contraire, voient dans cette attitude un signe de profonde lucidité : le peuple a compris que l’ennemi cherche d’abord à envahir les esprits avant de conquérir les territoires.
Le 19 octobre, alors que des navires de guerre et des sous-marins visaient le Venezuela, le chanteur colombo-américain Nicky Jam se produisait devant 30 000 fans joyeux et détendus au Stade Monumental Simón Bolívar de Caracas, au sud de la capitale et à proximité de Fuerte Tiuna, le principal complexe militaire de la ville abritant l’essentiel de la puissance défensive de la capitale.
Le curieux « effet Nobel »
L’extrême droite vénézuélienne qui réclame depuis longtemps une invasion états-unienne, s’est montrée euphorique face à la perspective qui semblait désormais plus proche que jamais. Mais après l’exaltation initiale, une vague d’impatience puis de déception a rapidement surgi, les événements ne se déroulant pas comme escompté.
Au cœur de cette attente fébrile : l’attribution du prix Nobel de la paix à la dirigeante d’extrême droite María Corina Machado. Cette désignation a eu un effet pour le moins singulier. Sur le plan intérieur, la réaction a été tiède, voire inexistante, même à droite, révélant que l’oligarque Machado ne dispose pas du charisme que lui prêtent ses défenseurs et que son appui provient surtout des secteurs radicaux, minoritaires, qui défendent depuis 23 ans un coup d’État ou une invasion états-unienne.
Sur la scène internationale, ses déclarations ont confirmé son rôle de courroie des plans états-uniens de récupérer le pétrole, tout comme son soutien au génocide du peuple palestinien et à Netanyahou. Elle a précipitamment présenté le prix comme l’évènement décisif pour justifier le renversement d’un président élu, sans évoquer l’unité ou la réconciliation, mais au contraire la vengeance, la punition et la persécution des adversaires politiques.
Machado et ses partisans ont même tenté de transformer la canonisation de José Gregorio Hernández et de Carmen Rendiles (premiers saints catholiques vénézuéliens) en moment politique conflictuel. Or, cette cérémonie a en réalité rassemblé de larges secteurs de la société. Leur tentative de protestation a échoué au Venezuela et a pris une tournure déplorable en Italie, où un groupe exalté de partisans de Machado a pris à partie verbalement l’ex-ambassadeur Roy Chaderton à l’intérieur d’une église ; un geste difficilement compatible avec un mouvement « pacifique ».
Un peuple entraîné à la survie
Les propagandistes de l’extrême droite, rejoints par certains analystes soi-disant neutres, misaient sur le fait que le déploiement de navires de guerre, le bombardement de petites embarcations et surtout la menace d’invasion provoqueraient une panique collective et feraient voler en éclats l’unité du gouvernement révolutionnaire et des institutions publiques.
Rien de tout cela n’est arrivé. Le pays conserve son calme, l’État fonctionne normalement. L’expérience accumulée depuis le début du processus bolivarien, et tout particulièrement durant la dernière décennie, a renforcé le peuple comme les autorités. Cette réponse ferme mais sereine de la population résulte d’années d’intense résistance – depuis le décret de Barack Obama en 2015 qualifiant le Venezuela de « menace inhabituelle et extraordinaire » pour la sécurité nationale états-unienne, jusqu’aux près de mille mesures coercitives unilatérales, au blocus économique occidental et à la confiscation de la filiale pétrolière CITGO par les États-Unis et d’autres actifs, causes principales de l’exode massif.
Les Vénézuéliens restés au pays pendant toutes ces années ont dû apprendre à produire quantité de biens jadis importés, perfectionner leurs capacités de survie et développer de nouvelles formes d’organisation sociale, au premier rang desquelles le pouvoir communal. Bref, ils connaissent l’économie de guerre. Les opérations psychologiques n’ont donc guère d’effet sur un peuple qui a déjà tant enduré.
Il en va de même pour les autorités, qui ont affronté toutes les formes d’agression : coups d’État, tentatives d’invasion, révolutions de couleur, complots d’assassinat, sabotages de l’industrie pétrolière, blackouts nationaux, attaques monétaires et migration forcée. Chaque épisode a été l’occasion d’engranger de nouveaux apprentissages en matière de résistance et de riposte efficace. Les corps de sécurité se sont perfectionnés dans la détection et la neutralisation de ces attaques, tandis que la diplomatie a accru sa capacité à les dénoncer sur la scène internationale.
Comme souvent, les conspirateurs sous-estiment à la fois le peuple vénézuélien et son gouvernement. Les élites états-uniennes, leurs alliés et affidés continuent de raisonner dans une logique suprémaciste qui n’a cessé de les mener à l’échec. Voilà près de 25 ans que les calculs états-uniens se révèlent systématiquement erronés. La résistance, et la vie elle-même, continuent.
Traduction Bernard Tornare
L’auteur : Clodovaldo Hernández est un journaliste vénézuélien diplômé en communication sociale de l’Université centrale du Venezuela et a suivi une spécialisation en information internationale. Il a exercé diverses fonctions dans le journalisme depuis 1981, couvrant la politique, les affaires internationales et l’information générale, et a publié dans des journaux, des revues, des radios et des portails d’information. Il a également travaillé dans la création et l’édition de manuels scolaires en sciences sociales de 2008 à 2018.
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